"Elle méritait l'or", les coéquipiers Lanny Bassham et Margaret Murdock reviennent sur leur illustration de l'esprit olympique à Montréal en 1976

Aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976, les Américains Margaret Murdock et Lanny Bassham étaient ex æquo à l'issue de l'épreuve de tir. Une règle quelque peu étrange a empêché la pionnière Margaret Murdock de devenir la première femme championne olympique au tir, mais Lanny Bassham a fait en sorte de lui offrir un moment de gloire.

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"Elle méritait l'or",  les coéquipiers Lanny Bassham et Margaret Murdock reviennent sur leur illustration de l'esprit olympique à Montréal en 1976
(Getty Images)

Pour Lanny Bassham, principal favori du tournoi et déjà alors multiple champion du monde de tir, rien n'est plus simple : "je ne l'ai pas battue", dit-il encore aujourd'hui à propos de sa coéquipière, Margaret Murdock, contre laquelle il a concouru dans l'épreuve du 50 m carabine trois positions aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976.

Quarante-quatre ans plus tard, il n'a toujours pas digéré le fait qu'ils n'aient pas tous deux reçu une médaille d'or alors qu'ils enregistraient chacun un score de 1 162 points pour 120 tirs.

"Elle a marqué le même score qu'un médaillé d'or olympique, mais elle n'a remporté qu'une médaille d'argent. C'est dingue", déclare Lanny Bassham qui a récolté l'or parce qu'il avait obtenu un meilleur score que Margaret Murdock pour ses 10 derniers tirs. Cette même règle de partage des ex æquo avait permis à la tireuse de se qualifier au sein de l'équipe américaine. 

(Montreal 1976 Olympic Shooting Range - IOC)

L'Américain, aujourd'hui âgé de 73 ans, est toutefois reconnaissant que USA Shooting (la fédération américaine de tir sportif) les ait soutenus, lui et sa coéquipière, lorsqu'ils ont non seulement tenté de corriger ce qu'ils estimaient être une erreur, mais également pour leur geste symboliquement fort lors de la cérémonie de remise des médailles.

"J'ai dit à Margaret : 'je ne peux pas te donner une médaille d'or, mais je peux t'offrir l'hymne national. Dès la première note, monte sur ma marche et nous nous tiendrons côte à côte. En ce qui me concerne, tu mérites une médaille d'or olympique'."

Lanny Bassham et Margaret Murdock se sont donc tenus côte à côte sur la première marche du podium alors qu'était hissé derrière eux le drapeau américain. Ils incarnaient un symbole puissant de l'esprit sportif et du fair-play. Mais cette histoire est bien plus complexe et mérite qu'on la retrace depuis le début.

Comme il n'existait pas d'épreuve féminine de tir à l'époque, la grande sportive Margaret Murdock avait l'habitude d'aller à contre-courant.

"Soit je tirais avec les hommes, soit je ne tirais pas. Donc je tirais aux côtés des hommes depuis toute petite et je les battais", se souvient en riant l'athlète aujourd'hui âgée de 77 ans.

Instructrice dans l'armée américaine, elle adorait faire tomber les barrières. Pendant ses études à l'Université du Kansas, elle avait forcé les administrateurs à la laisser tirer au sein de l'équipe universitaire. En 1975, elle était non seulement la première femme championne du monde en individuel, mais également double médaillée d'or aux Jeux panaméricains. Comme l'explique Lanny Bassham, étoile montante du sport qui avait terminé deuxième au 50 m carabine trois positions aux Jeux Olympiques de Munich 1972, elle était une "légende" du sport.

"Je me suis qualifié en équipe américaine pour la première fois en 1970, pour les Championnats du monde, et elle était déjà une star du tir. Moi, je n'étais personne, affirme-t-il. Margaret Murdock était toujours la personne à battre pour gagner. Elle dominait toujours les tournois auxquels elle participait. Tout le monde la craignait."

Les hommes avaient autant l'habitude de concourir aux côtés de Margaret Murdock qu'elle à leurs côtés. Mais, comme elle n'avait pas fait partie des équipes olympiques américaines de 1968 et de 1972, elle incarnait un phénomène nouveau pour une grande partie du monde.

"Personnellement, je ne l'ai jamais vue comme une fille au sein de l'équipe. Je la voyais simplement comme une très bonne tireuse, déclare Lanny Bassham. Pendant des années, Margaret était la seule femme en lice dans les tournois auxquels nous participions. Ça n'avait rien de nouveau pour nous. Mais aux Jeux Olympiques, le monde entier est spectateur et elle a vraiment fait sensation."

(Montreal 1976 Olympic Stadium - IOC)

Dès le début de la compétition, Margaret Murdock a prouvé qu'elle méritait sa place : l'unique athlète femme était devant le triple champion du monde de 1974, Lanny Bassham, lors des deux premiers tours, terminant deuxième après la position couchée et troisième après la position debout.

"J'espérais décrocher une médaille d'or, donc j'ai tout fait pour", explique joyeusement la tireuse.

En 1976, on utilisait encore des cibles en papier et, après chaque étape, les cibles étaient retirées, examinées et notées par trois juges. Quand il n'était pas immédiatement évident si un tir méritait un huit ou un neuf, un neuf ou un dix, et ainsi de suite, les juges procédaient à un vote. De plus, un groupe de trois autres personnes réévaluaient tous les scores des dix meilleurs tireurs pour assurer une uniformité. Ce n'est qu'après que les résultats étaient considérés comme définitifs.

À Montréal, ce processus en deux étapes a engendré des problèmes. Les scores préliminaires ont été affichés sur le tableau après la troisième et ultime étape. Ils indiquaient que Margaret Murdock avait battu Lanny Bassham d'un seul point.

"Vous pouvez imaginer ce qui s'est passé, dit amèrement le tireur. La seule femme de l'histoire à concourir au tir remporte la médaille d'or. 'Quelle incroyable histoire, diffusons-la partout !' Les médias se sont rués vers Margaret et lui ont dit : 'Vous avez gagné, vous avez décroché la médaille d'or, n'est-ce pas génial ?'

Dans la majorité des sports, ce qu'affiche le tableau est définitif, mais ce n'était pas le cas ici. Ils avaient commis une erreur."

(Montreal 1976 Olympic Shooting Range - IOC)

Plusieurs entraîneurs et coéquipiers avaient utilisé un télescope pour regarder les tirs de Lanny Bassham (et ceux de Margaret Murdock) et ils étaient tous convaincus qu'il avait été mal noté lors de la deuxième étape. Leur point de vue fut confirmé lorsque les résultats définitifs furent publiés. Lanny Bassham et Margaret Murdock étaient à égalité avec 1 162 points et le premier remporta la médaille d'or grâce à la règle du partage des ex æquo.

"Tous les médias et les spectateurs étaient partis quand les scores définitifs sont arrivés avec le point qui me manquait, explique le tireur. J'étais très heureux d'avoir gagné l'or, mais je me sentais mal pour Margaret."

Les deux tireurs se sont alors lancés dans un plaidoyer pour avoir le droit de procéder à des tirs pour les départager ou au moins recevoir chacun une médaille d'or. Mais il était impossible de changer le règlement. Une foule importante, principalement composée de médias qui avaient eu ouï dire que les tireurs américains avaient quelque chose de prévu, a assisté à la cérémonie de remise des médailles. S'en est suivi un événement touchant de l'histoire du sport.

(Montreal 1976 Olympic Parc - IOC)

"Ça ne m'a pas surprise [que Bassham lui demande de monter sur la première marche du podium avec lui], raconte Margaret Murdock. Nous avions le même score, nous étions dans la même équipe. Nous avions tous les deux très bien tiré ce jour-là. Ça m'a fait plaisir qu'il reconnaisse que je tirais très bien moi aussi."

La médaille de Margaret Murdock a changé l'histoire du tir sportif à jamais, même si elle n'était pas de la couleur qu'elle et beaucoup d'autres estimaient qu'elle méritait. Elle fut toutefois la première femme à gagner une médaille olympique au tir et des épreuves féminines furent ajoutées au programme olympique peu de temps après. Même la règle du partage des ex æquo fut modifiée. De plus, le geste de Lanny Bassham propulsa le sport à la une des journaux.

"Je suis content que nous ayons eu la présence d'esprit de faire ça. Je pense que c'était dans l'esprit des Jeux Olympiques, explique le tireur. Je continue de penser qu'elle mérite une médaille d'or. Je ferais n'importe quoi pour changer la couleur de la médaille de Margaret Murdock."

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