Elana Meyer revient sur sa vie d'athlète sous l'apartheid et sa victoire historique à Barcelone en 1992

Aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, Elana Meyer devient la première Sud-Africaine à remporter une médaille olympique individuelle depuis 32 ans en décrochant l'argent au 10 000 mètres femmes. Elle revient ici sur sa vie d'athlète de classe mondiale pendant l'apartheid et se confie sur son rôle dans le grand retour de son pays sur la scène internationale.

Elana Meyer revient sur sa vie d'athlète sous l'apartheid et sa victoire historique à Barcelone en 1992
(Getty Images)

Plusieurs générations de Sud-Africains ont été privées de participation aux Jeux Olympiques de 1964 à 1992 en raison de l'apartheid, la politique de ségrégation raciale du pays. À l'abolition de cette politique, l'Afrique du Sud est invitée à participer aux Jeux Olympiques de Barcelone 1992 et Elana Meyer, coureuse de fond, fait partie des nombreux athlètes à se réjouir de cette opportunité tant attendue.

Comment était-ce d'être une athlète de classe mondiale en Afrique du Sud pendant les années 80 et le début des années 90 ?

J'ai participé à des tournois pendant des années, à l'époque où Zola Budd [championne du monde de cross en 1985 et 1986] était également en Afrique du Sud. C'était un véritable phénomène international, d'un niveau stupéfiant, et je courais contre elle depuis l'âge de 14 ans. Pendant de nombreuses années, la compétition dans notre pays était incroyablement difficile, mais aussi très satisfaisante.

Zola me battait toujours avec beaucoup d'avance, mais mon but à moi était seulement de m'améliorer. Puis elle est partie aux Jeux de Los Angeles de 1984 sous le drapeau britannique. Je m'étais moi aussi qualifiée pour les Jeux cette année-là.

Ce n'est que quelques années plus tard que je me suis rendu compte que je voulais affronter les meilleures athlètes du monde. Ça ne m'avait jamais vraiment intéressée auparavant, parce que la compétition était déjà assez rude en Afrique du Sud, mais voir Zola participer à cet événement m'a soudainement donné très envie de concourir sur la scène internationale. J'ai continué à m'améliorer, année après année, mais je n'ai de nouveau pas eu le droit de participer aux Jeux Olympiques de 1988.

Qu'avez-vous ressenti lorsque les choses ont commencé à évoluer en Afrique du Sud ?

Au début des années 90, avec la libération de prison de Nelson Mandela, on a commencé à se dire qu'on serait peut-être libérés nous aussi, athlètes, et qu'on aurait peut-être la chance de concourir à l'international. À cette époque, mes temps rivalisaient avec ceux des athlètes internationaux. Zola est revenue en Afrique du Sud et je l'ai battue pour la première fois.

J'ai alors vraiment eu à cœur d'affronter des athlètes « en vrai » et plus juste sur le papier. Début 1991, j'ai fait le meilleur temps du monde au 3 000 m. Je savais que, sur le papier, j'étais à craindre par les autres athlètes, mais je n'avais jamais couru en dehors de l'Afrique du Sud. La situation s'est alors compliquée. En 1991, nous espérions pouvoir participer aux Championnats du monde, mais nous avions différentes fédérations et associations d'athlètes en Afrique du Sud et il fallait qu'elles ne fassent plus qu'une pour concourir. Cela a pris du temps.

Du coup, j'ai assisté à ces championnats depuis les tribunes... C'est à ce moment-là que je me suis dit pour la première fois que ma place n'était pas là, mais sur la piste, à courir contre les meilleures athlètes du monde. Cette dernière année m'a assez frustrée.

(IOC)

Comment vous êtes-vous préparée à 1992, année où vous avez reçu le feu vert pour participer aux Jeux Olympiques de Barcelone ?

Liz McColgan [de Grande-Bretagne] était la championne du monde en titre, alors je me suis dit que ça serait une bonne idée de faire quelques courses contre la meilleure du monde. Mais je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas réussi une seule fois à courir dans la même course qu'elle. Ma première course en Europe s'est déroulée aux Pays-Bas. J'ai couru le 3 000 m et j'ai été battue par Sonia O’Sullivan [athlète irlandaise qui remporterait plus tard l'argent au 5 000 m à Sydney en 2000]. Ensuite, je suis allée à Stockholm et j'ai gagné le 5 000 m. Puis j'ai couru à Nice, mais je n'ai pas pu prendre le départ du 3 000 m, auquel Liz McColgan participait, donc je me suis rabattue sur le 1 500 m.

Ces courses m'ont donné confiance en moi et m'ont prouvé que j'étais en assez bonne forme pour affronter le reste du monde.

Comment avez-vous réagi lorsque l'on vous a demandé votre avis sur la situation politique en Afrique du Sud ?

En tant qu'athlète, il vaut mieux toujours essayer de se concentrer sur son sport, mais j'avais déjà 25 ans à l'époque et j'avais vu comment ça s'était passé pour Zola [Budd]. Elle a quitté le pays pour représenter le Royaume-Uni à 18 ans... J'avais vu et suivi de loin les difficultés qu'elle avait rencontrées, donc j'avais compris que même si je ne voulais pas être un pion politique, j'avais une certaine responsabilité et il était important que je réponde et donne mon opinion.

J'ai tiré des leçons de l'expérience de Zola et j'ai appris que l'on ne pouvait pas dire que l'on ne voulait pas se mêler de politique. Je savais que sur la scène internationale, il faut se battre pour ce en quoi l'on croit et qu'il est, de ce fait, important de croire en quelque chose. Un athlète ne peut pas s'intéresser à rien d'autre qu'à l'athlétisme, car on nous pose forcément beaucoup de questions.

(IOC)

Par exemple, chaque fois que j'arrivais à une épreuve, il y avait une conférence de presse organisée à l'aéroport et la plupart des questions portaient sur la politique. Parfois la dernière question était quand même : "qu'attendez-vous de cette course ?"

Je savais que les gens s'intéressaient non seulement aux coureurs sud-africains, mais également à l'histoire du pays et à l'impact de l'apartheid sur les athlètes et la population. J'étais consciente qu'il ne s'agissait pas seulement d'athlétisme, mais aussi de droits de l'Homme.

Qu'avez-vous ressenti à votre arrivée à Barcelone pour vos premiers Jeux Olympiques ?

Quand je suis arrivée à Barcelone, je me suis dit : "Bon, ça y est, nous y sommes. Ce n'est plus un simple rêve. Nous allons enfin avoir la chance de concourir". C'était un tel mélange d'émotions : j'étais à la fois soulagée, enthousiaste et avide de faire mes preuves.

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