À l'occasion de la Journée internationale de la paix, les médaillées olympiques Derartu Tulu et Elana Meyer évoquent un moment décisif de leur victoire aux Jeux de Barcelone 1992 : "Nous avons représenté l'Afrique."

C'était le geste le plus naturel qui soit. Pourtant, les embrassades et les célébrations avec leur drapeau de l'Éthiopienne Derartu Tulu et de la Sud-Africaine Elana Meyer après avoir remporté respectivement l'or et l'argent dans le 10 000 m féminin aux Jeux Olympiques de Barcelone 1992 sont toujours très présents dans les mémoires.

À l'occasion de la Journée internationale de la paix, les médaillées olympiques Derartu Tulu et Elana Meyer évoquent un moment décisif  de leur victoire aux Jeux de Barcelone 1992 : "Nous avons représenté l'Afrique."
(IOC)

En symbole d'espoir pour une nouvelle Afrique, Derartu Tulu, première femme noire africaine championne olympique, et Elana Meyer, première médaillée individuelle d'Afrique du Sud depuis la fin de l'apartheid, se sont en effet donné la main. Pour rappel, l'Afrique du Sud était interdite de compétitions olympiques depuis 1964 en raison de sa politique discriminatoire, et l'image de ces deux remarquables sportives unies dans un geste poignant a su retenir l'attention du monde entier.

La sincérité, la fierté et l'affection réciproque qu'elles se portent sont évidentes dans les voix de Derartu Tulu et d'Elana Meyer lorsqu'elles évoquent leurs souvenirs de cette nuit chaude et humide il y a 28 ans. Depuis, le duo a réalisé de grandes choses sur la piste et en dehors, mais toutes les deux savent bien que rien n'aura peut-être d'impact aussi important que leur geste à l'issue de la finale du 10 000 m féminin lors des Jeux Olympiques de Barcelone 1992.

"Tout s'est passé si vite. Sur le moment, c'était juste cette incroyable célébration, cette communion, et je pense que même si je n'ai pas saisi l'étendue de l'impact à l'époque, j'ai senti qu'il se passait quelque chose de spécial", a déclaré Elana Meyer, tandis que la femme qui l'a battue dans la course à l'or cette nuit-là faisait écho à ces paroles.

"J'étais très heureuse. Je ne pouvais pas me contrôler, je ne pouvais pas exprimer mes sentiments à ce moment-là", a confié Derartu Tulu. "Imaginez une jeune Africaine, noire, dans un océan d'humidité et de chaleur et dans une ambiance inimaginable en train de rafler l'or. C'était une situation inoubliable, après tout, j'étais Derartu Tulu, originaire d'Éthiopie."  

Et d'ajouter : "Quant à Elana, je ne l'avais jamais rencontrée auparavant, mais elle a fait comme si nous nous connaissions depuis toujours et que nous étions de vieilles amies. C'était une immense surprise pour moi. Étonnamment, nous avons eu la meilleure accolade de tous les temps. Nous n'avons jamais oublié que nous venions toutes les deux d'Afrique."  

C'est un spectacle qui a fait la une des journaux du monde entier : deux coureuses de classe mondiale, l'une blanche, l'autre noire, drapées dans les couleurs de l'Éthiopie et de l'Afrique du Sud, levant les bras ensemble comme une seule et même personne. Pour toutes les deux, c'était une première expérience olympique et un sacré voyage. 

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Le 10 000 m féminin des Jeux Olympiques de 1992 a représenté une occasion très attendue pour la Sud-Africaine Elana Meyer, laquelle a enfin eu la chance de faire ses preuves sur la plus grande scène sportive de tous les temps. Limitée aux compétitions nationales pendant près de dix ans en raison des conséquences de l'apartheid, la jeune femme de 25 ans savait qu'elle était "performante sur le papier" – en 1991, elle avait couru le 3 000 m féminin le plus rapide de l'histoire sud-africaine – mais n'avait "aucune expérience internationale".

"Lorsque je suis arrivée à Barcelone, je me suis dit "ça y est, nous sommes là, c'est réel. Nous allons enfin avoir la chance de concourir. C'était un mélange d'émotions", a confié Elana Meyer. "J'étais soulagée, impatiente, prête à en découdre." 

Selon ses propres termes, ce sont la Britannique Liz McColgan, championne du monde en titre du 10 000 mètres, et l'Américaine Lynn Jennings, triple championne du monde de cross, dont Elana Meyer se méfiait le plus. La jeune Derartu Tulu, 20 ans alors, l'intriguait mais sans plus.

"En 1991 [lors des Championnats du monde d'athlétisme à Tokyo], elle [Derartu Tulu] s'est détachée avec Liz [McColgan] avant de lâcher assez rapidement, et n'a pas vraiment impressionné", a déclaré Elana Meyer.

Bien qu'elle n'ait eu que 19 ans lors de ces Championnats, Derartu Tulu a vu les choses différemment à Barcelone. Née dans la même ville que le grand Kenenisa Bekele, triple champion olympique de fond, Derartu Tulu a en effet senti qu'elle avait quelque chose, même si les conditions dans l'étouffante ville espagnole étaient loin des froids plateaux de son pays.  

"Le premier jour [à Barcelone] a été suffoquant, très chaud et humide. Il était très difficile de respirer et je transpirais à grosses gouttes", a indiqué Derartu Tulu. "Je pensais à un million de choses, et l'une d'entre elles était de savoir comment je pourrais gagner la course en utilisant mon style et mon système de course particuliers."

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"J'avais suffisamment confiance dans mon entraînement et mon niveau de performances. J'étais certaine que je serais très bonne, et j'étais aussi sûre que je n'abandonnerais pas facilement."   

Frustrée de voir que l'attaquante Liz McColgan n'accélérait pas au rythme dont elle avait besoin, Elana Meyer a pris les choses en main à dix tours de la fin dans la finale. Elle s'est écartée du peloton pour se rafraîchir, puis s'est soudain élancée en tête. Comme elle l'avait espéré, la plupart des concurrentes n'ont pas pu faire face à son accélération. Mais une adolescente éthiopienne en tee-shirt blanc semblait totalement inébranlable.

Après avoir suivi Elana Meyer pendant neuf tours, Derartu Tulu a réalisé une extraordinaire performance sur les derniers 400 m pour gagner de 30 mètres et presque six secondes. Elle devenait ainsi la première femme noire africaine championne olympique, Elana Meyer remportant la première médaille olympique individuelle de l'Afrique du Sud depuis 1960.  

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"J'ai tout donné. J'ai mené la course mais j'ai été dépassée par la meilleure athlète ce jour-là", a admis Elana Meyer simplement, avec élégance.  "À la fin, c'était un tel soulagement pour moi de décrocher une médaille."

C'est cette émotion qui a conduit Elana Meyer vers son adversaire. Les images de ces deux femmes qui conversent bras dessus, bras dessous et sont tout sourire sont d'autant plus poignantes quand on sait qu'elles ne parlaient pas la même langue.

"Je ne connaissais pas l'anglais, donc je n'ai pas répondu à Elana, qui parlait beaucoup", a confié en riant Derartu Tulu, laquelle allait remporter le titre du 10 000 m pour la deuxième fois aux Jeux de Sydney 2000, établissant par la même occasion un record olympique. "Mais je pouvais lire sur son visage qu'elle était très heureuse de ma victoire et que sa seconde place ne l'avait pas blessée."

L'Éthiopienne avoue candidement qu'elle ne savait pas grand-chose d'Elana Meyer, ni d'aucun athlète sud-africain à l'époque ; mais ce qu'elle savait, c'est qu'elles partageaient une icône, Nelson Mandela.  

"Mon pays considère toujours ce héros mondial comme son leader", a confirmé Derartu Tulu.

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Et c'est ce sentiment d'unité, de l'unité africaine, qui a eu un tel impact sur les spectateurs du monde entier.  

"C'est certainement un moment que je chérirai pour toujours", a affirmé Elana Meyer. "Même si nous étions concurrentes, nous partagions quelque chose de plus profond. Sur la piste, nous avons couru, et en dehors de la piste, nous avons représenté l'Afrique, toutes les deux d'une manière différente mais significative."  

Et d'ajouter : "Jusqu'à aujourd'hui, elle joue un rôle important en Éthiopie (Derartu Tulu est présidente de la Fédération éthiopienne d'athlétisme) et je suis toujours mobilisée en Afrique du Sud, où j'essaie d'encourager les jeunes femmes à réaliser leurs rêves et à atteindre leurs objectifs. Nos efforts se sont poursuivis bien au-delà de ce moment sur la piste."

"Je me suis souvent demandé si les choses auraient été aussi marquantes si j'avais gagné la course. En repensant à l'épreuve, si j'avais gagné la course, cela aurait probablement eu moins d'impact. J'aurais couru [le tour de la victoire] toute seule... surtout aujourd'hui, j'apprécie vraiment que les choses se soient déroulées d'une manière bien meilleure que ce que j'aurais pu prévoir."

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