Courses contre des chevaux, petits boulots ou brillant conférencier: la vie de Jesse Owens après les Jeux Olympiques
Jesse Owens est retourné chez lui après les Jeux Olympiques de Berlin 1936 avec quatre médailles d’or, mais pas la moindre garantie d’une quelconque prospérité future. Entre autres choses, il fut employé dans une station-service ou adversaire de coureurs amateurs moyennant finances.
Il traversera plusieurs périodes difficiles, mais l’homme de l’Alabama finira par récolter les fruits de son génie et de son courage.
« Les gens disent que c’est dégradant pour un champion olympique de courir contre un cheval, mais qu’est-ce que j’étais censé faire ? J’ai obtenu quatre médailles d’or, mais ça ne se mange pas. »
Ainsi s’exprimera Jesse Owens plus tard, en se remémorant les difficultés rencontrées et les décisions qu’il a prises après être revenu de Berlin 1936, paré du titre honorifique de meilleur athlète américain masculin de l’histoire.
Le quadruple champion olympique décline une invitation pour concourir juste après les Jeux en Suède avec ses compagnons stars de 1936. À son retour aux États-Unis, le jeune Américain se laisse séduire par plusieurs propositions commerciales fort juteuses, ce qui aura des prolongements considérables.
Il est ainsi privé sur-le-champ ou presque de son statut amateur, ce qui met effectivement un terme à sa carrière sur piste. En parallèle, Owens s’aperçoit que les gens ont la mémoire courte. Quelques mois à peine après son retour, les offres commerciales se tarissent et, faute de la moindre opportunité de rappeler au public son talent sur la piste, sa vie devient difficile.
J’ai obtenu quatre médailles d’or, mais ça ne se mange pas. Jesse Owens - Jesse Owens
Marié à Ruth, son amour d’enfance, alors qu’il était encore à l’université de l’Ohio State, et père de sa première fille avant ses exploits de Berlin, Owens doit gagner de l’argent. Et vite.
Bien entendu, il se rabat sur son extraordinaire compétence. Il défie, contre espèces sonnantes et trébuchantes, des sprinters de seconde zone dans des réunions locales, en leur laissant un avantage de 10 à 20 yards au départ avant de les battre facilement. Il court également contre des motos, des voitures, des camions et enfin, des chevaux.
En revenant plus tard sur cette période, Owens reconnaîtra qu’il est tombé de haut et qu’il l’a mal vécu.
« J’en ai souffert, c’est sûr, dira-t-il. Mais au moins, je menais une vie honnête. Il fallait bien que je mange. »
Owens se tourne également vers le type d’emploi qui lui avait permis d’étudier à l’Ohio State, lorsque faute de bourse sportive, il avait été obligé d’accepter un job à 100 dollars par mois comme garçon d’ascenseur. Dans les années qui suivent ses exploits berlinois, on retrouve Owens pompiste dans une station-service, gardien d’un terrain de jeux ou gérant d’un pressing.
Mais les difficultés que rencontre le natif de l’Alabama ne sont pas uniquement d’ordre financier. Les questions de droits civiques sont à l’époque un élément majeur de la vie quotidienne. Juste après les Jeux de 1936, Owens est ainsi invité à une parade urbaine et à une fête donnée en son honneur à l’hôtel Waldorf-Astoria de New York. Il doit cependant emprunter le monte-charge de service pour s’y rendre.
« Je suis revenu dans mon pays natal et je ne pouvais pas monter à l’avant des bus. J’étais obligé de passer par la porte arrière. Je ne pouvais pas vivre là où je voulais », se souviendra Owens des années plus tard.
Il ne bénéficie pas non plus de la reconnaissance que lui et que d’autres méritaient. Le président américain de l’époque, Franklin D Roosevelt, ne lui téléphonera pas et ne lui enverra pas non plus de télégramme de félicitations, pas plus qu’il ne conviera le multiple médaillé d’or à la Maison-Blanche.
Il faut attendre les années cinquante pour que les choses commencent à changer pour Owens et sa famille. Il commence par donner des conférences dans des entreprises et des organismes, notamment pour Ford et, à un moment donné, pour le Comité Olympique Américain. Très recherché, il ouvre sa propre société de relations publiques. il arpente les États-Unis de long en large en mettant l’accent sur l’importance de la sportivité, de la santé et de l’amour de son pays.
Selon les comptes rendus de l’époque, Owens est devenu un orateur percutant, qui gagnera plus tard jusqu’à 100 000 dollars par an pour deux ou trois conférences par semaine. Selon un article du journaliste William Oscar Johnson publié dans Sports Illustrated, c’était « un genre de super combinaison entre un bonimenteur du XIXe siècle et un chargé de relations publiques froid du XXe siècle, un invité permanent des banquets, un éternel obséquieux et un bavard impénitent. »
Je ne fais pas de jogging car je ne peux pas courir avec mes pieds plats. Et à 60 ans, il faut être fou pour aller courir Jesse Owens - Jesse Owens
En 1976, la reconnaissance présidentielle arrive enfin : Gerald Ford décore Owens de la médaille présidentielle de la Liberté. Le robinet est ouvert et les honneurs vont couler. En 1979, le président Jimmy Carter décerne le prix de la Légende vivante au champion olympique et, en 1990, George HW Bush décore Owens à titre posthume de la médaille d’honneur du Congrès.
Marcheur et nageur toujours assidu, Owens décrit de façon amusante les hommes et les femmes qui continuent à courir à un âge avancé.
« Je ne fais pas de jogging car je ne peux pas courir avec mes pieds plats. Et à 60 ans, il faut être fou pour aller courir », dit-il alors.
Owens meurt à 66 ans à Tucson, en Arizona, victime d’un cancer du poumon. Il laisse sa femme et ses trois filles. Les hommages affluent, mais personne ne résume peut-être mieux sa vie et ses exploits tout à fait remarquables dans l’adversité qu’une phrase du président Carter.
« Aucun athlète n’a peut-être mieux symbolisé le combat de l’humanité contre la tyrannie, la pauvreté et l’intolérance raciale », écrit alors le président.