Journée internationale des personnes handicapées : Après avoir lutté contre le harcèlement, Arnaud Assoumani veut faire évoluer la vision du handicap en France

Arnaud Assoumani monte sur les podiums internationaux depuis deux décennies. Le quintuple médaillé paralympique veut profiter des Jeux de Paris 2024 pour sauter encore plus loin, mais surtout pour aider la société française à mieux accepter la beauté des différences physiques. 

9 minPar Lena Smirnova
A long jumper with a left prosthetic arm jumps into a sand pit.
(Matthias Hangst/Getty Images)

Arnaud Assoumani veut qu’on lui pose toutes les questions qu'il suscite. Et sans être timide !

Comment il s’habille ? Comment il se brosse les dents ou prend sa douche ? Souffre-t-il ?

Aucun sujet n’est tabou avec le quintuple médaillé paralympique qui a été victime de harcèlement pendant son enfance et qui a vu d’autres personnes avec des handicaps visibles ou invisibles être stigmatisées.

Le para sauteur en longueur qui a gagné cinq médailles aux Jeux Paralympiques dont l’or à Beijing 2008 rêve d’ajouter un nouveau succès à son incroyable palmarès l’été prochain. Mais cette fois, il n’est pas seulement question de résultat.

Le Français de 38 ans avoue qu’il aurait pris sa retraite sportive si Paris 2024 n’avait pas obtenu l’organisation des prochains Jeux Olympiques et Paralympiques. Désormais, il veut faire de ces Jeux à domicile une opportunité de briser les stéréotypes qui entourent le handicap en France. Initier un changement qui dépassera largement les 12 jours de compétition est son véritable objectif.

« Enfant, je ne tolérais pas la discrimination et dès le début, ça a été une sorte de motivation pour tout ce que j’ai fait après », confie Arnaud Assoumani à Olympics.com.

« Je suis toujours un compétiteur, mais ce n’est plus ma motivation principale parce que ce qui compte vraiment, c’est laisser un héritage et pouvoir dire ‘Ok, j’ai joué dans le sable pendant une longue période, mais ça en valait la peine pour d’autres gens et ça a amélioré des choses’ », poursuit-il.

« Je sais que j’ai déjà un peu réussi, car je reçois des messages d’enfants et de parents, et c’est vraiment le plus important pour moi. »

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Des rires de l’école primaire au harcèlement du collège

Arnaud Assoumani est né sans avant-bras gauche. Il était conscient de ne pas être exactement comme les autres enfants, mais il n’y avait rien de négatif quand ils l’approchaient avec des questions dans la cour de récréation.

Les choses ont ensuite changé durant l’adolescence.

« Je n’ai pas vraiment senti de différence jusqu’au collège. Avant, je savais, bien sûr, j’étais le seul avec une différence physique, mais ce n’était pas un problème. Je m’en amusais quand les autres enfants me posaient des questions. »

« L’humour était la meilleure des réactions, et je ne m’en souciais pas, car j’étais juste un enfant qui s’exprimait. Et c’était ça le truc, ça ne m’affectait pas, mais ensuite, quand tu commences à être un adolescent, tu veux que les gens t’apprécient et tu te construis une personnalité, c’est complètement différent. Tu ne comprends pas quand tu es mis de côté, quand les gens te regardent différemment ou qu’ils ne veulent plus faire des choses avec toi à cause de cette raison. »

« Au début, j’étais ‘Ok, je n’ai pas un handicap’… Ce n’est pas une identité, tu ne te définis pas juste à travers cette caractéristique. C’en est juste une parmi tant d’autres. »

Pendant les quelques années avant le lycée, Arnaud Assoumani a été la cible de harcèlement et d’intimidation.

« C’était un moment difficile parce que j’ai été mis de côté, je n’étais pas intégré et pourtant, j’étais vraiment l’enfant le plus sympa possible. Je ne comprenais pas, je n’avais rien fait de mal », se rappelle-t-il.

« J’étais triste, j’ai changé d’école. Je n’en ai pas parlé à ma mère jusqu’au jour où j’ai dit ‘Stop, je ne veux plus y aller’. »

À un certain point, le harcèlement est devenu tellement régulier qu’Arnaud Assoumani utilisait les techniques apprises au taekwondo pour se défendre contre ses tyrans.

« Ça n’a pas duré longtemps, mais quand j’ai changé d’école, si je devais me battre pour me défendre ou défendre quelqu’un d’autre, je le faisais sans hésiter. Je suis passé de l’enfant le plus sage du monde, pas au plus méchant, mais c’était du genre : ‘Ne me cherchez pas, je sais me défendre.’ »

« Je pense que c’était important de montrer que j’existe, que j’ai le droit d’exister. »

Alors que le harcèlement a arrêté quand il a grandi, le Français trouve toujours des traces du comportement de ces adolescents dans le monde des adultes. Et ce n’est pas surprenant, selon lui.

« Les enfants et les adolescents sont le reflet de la société et de ce que les adultes et la société montrent en général. Oui, les enfants peuvent être méchants, mais généralement, ils sont méchants parce qu’ils ne savent pas », explique-t-il.

« En tant qu’adulte, c’est encore plus dur si vous n’avez jamais vu quelqu’un de différent. C’est plus difficile parce que vous avez besoin de déconstruire les clichés et les préjugés que vous pouvez avoir sur plein de sujets différents. C’est pour ça que c’est important d’aller dans les écoles et de travailler avec les enfants pour leur montrer un peu le monde tel qu’il est et ses différentes perspectives. »

La prothèse comme œuvre d’art : faire de la différence quelque chose de beau

Pour Arnaud Assoumani, parler ouvertement des clichés liés au handicap est un premier moyen de régler ce problème. C’est pour cette raison qu’aucun sujet n’est tabou quand le champion paralympique parle avec des enfants ou des adultes.

« [Avec des enfants], c’est assez basique. ‘Comment tu prends ta douche ?’, ‘Comment tu t’habilles ?’, ‘Comment tu laces tes chaussures ?’, ‘Est-ce que tu as mal ?’, ‘Est-ce que je peux essayer [ta prothèse] ?’ »

« Ils disent même à leurs parents ‘je veux la même’, alors je suis là ‘non, peut-être que tu ne veux pas’. »

Pour Arnaud Assoumani, la différence entre les enfants et les adultes, c’est que les premiers demandent tout ce qui leur passe par la tête quand les seconds sont parfois trop timides pour parler de ce qu’ils veulent vraiment savoir.

« Les adultes ont parfois les mêmes questions, mais ils ont peur de les poser. Puis l’un d’entre eux demande s’il peut toucher la prothèse, tout le monde le rejoint et leur perception change immédiatement. »

La prothèse d’Arnaud Assoumani est souvent un sujet qui lance les discussions. Alors que les gens ont tendance à détourner leur regard des fauteuils roulants ou des prothèses, le para athlète veut que les gens regardent la sienne - et s’émerveillent.

À Londres 2012, il portait une prothèse avec comme motif une ruche dorée, ce qui lui a valu le surnom de ‘Bras en or’. Il a eu un autre modèle qui reprenait les couleurs du drapeau français alors que le dernier en date est plus futuriste avec une forme qui évoque la structure en spirale de l’ADN.

« C’est une pièce d’art », avoue Assoumani. « Ce que j’aime dans l’art, en général, mais aussi dans le sport, c’est que c’est un moyen d’expression. C’est vraiment important de s’exprimer, cela prouve que vous êtes libre. »

Sa prothèse existe en noir et en blanc et a fait sensation dans les médias français, jusque dans les colonnes du magazine GQ France.

Le para sauteur en longueur travaille désormais sur son prochain modèle de prothèse avec des designers. Il sera 100 % organique et fera l’objet d’une exposition photographique lors des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

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Arnaud Assoumani, un rêve plus grand que les médailles

Arnaud Assoumani avait cinq ans quand il a vu du saut en longueur pour la première fois à la télévision. Ce jour-là, une passion pour cette discipline est née.

« J’étais subjugué par son esthétisme. Pour moi, les athlètes volaient et j’ai dit ‘Oh, moi aussi, je veux voler’ », se souvient-il. « J’ai dit à mon père, ‘je veux participer aux Jeux Olympiques’, tout est parti de là’. »

Alors qu’il gravissait les échelons en para sport, son rêve d’enfance continuait de l’animer. Sur la route de Londres 2012, il a alors tenté de se qualifier aux Jeux Olympiques et aux Jeux Paralympiques.

« J’avais gagné l’or aux Jeux Paralympiques. Il n’y avait plus rien à atteindre, mais je savais que je pouvais encore améliorer mon niveau, je pouvais faire beaucoup mieux. J’avais eu beaucoup de blessures au dos par le passé. Je ne savais pas jusqu’où je pouvais aller, mais je pensais que je pouvais me qualifier. En réalité, j’ai fait plusieurs sauts à plus de huit mètres, 15 ou 20, et ils auraient été suffisants pour me qualifier aux Jeux Olympiques. Malheureusement, je me suis une nouvelle fois blessé. »

Alors que le Français manquait de peu la qualification olympique, il s’est avéré que c’était le moyen idéal pour diffuser son message d’inclusion et d’acceptation.

« Le premier cliché que vous avez en parlant de handicap ou d’incapacité, c’est le manque de performance alors que c’est totalement faux pour tellement de raisons », dit Assoumani qui a terminé l’été 2012 avec deux médailles d’argent, en saut en longueur et en triple saut dans la catégorie F46 des Jeux Paralympiques.

« Si vous avez un handicap, cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas avoir de réflexion, que vous ne pouvez pas créer, que vous ne pouvez pas être performant. »

À moins d’un an des Jeux Paralympiques de Paris 2024 chez lui, Arnaud Assoumani est dans une grande forme, et en pleine lumière. Il a manqué de peu le podium des Championnats du monde de para athlétisme 2023 à Paris en juillet dernier. La quatrième place en saut en longueur ne l’a pas empêché de poursuivre son plaidoyer pour changer la vision du handicap.

« C’est l’année la plus importante de ma carrière, c’est sûr. Mon but est de gagner une médaille à Paris », affirme-t-il. « Gagner le titre ou une médaille est un moyen de donner encore plus de poids aux messages que je veux faire passer. »

Figure du paralympisme en France, il a participé à la Journée Paralympique qui a eu lieu le 8 octobre dernier à la Place de la République. Ce n’était pas sa première apparition à cet événement d’une journée qui met en lumière les 14 para sports et offre aux visiteurs la possibilité de les tester. L’affluence a été au rendez-vous et Arnaud Assoumani est déjà impatient de voir la suite.

« Je n’avais pas ressenti ce sentiment de fraternité et de diversité en France jusque-là. La dernière fois que j’avais vu ça, c’était aux Jeux Paralympiques de Londres 2012 ».

Comme une preuve que son implication et ses réponses à toutes les questions font leur travail.

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