À Amsterdam en 1928, Lina Radke est la première championne olympique du 800 m, mais…
Les femmes débutent en athlétisme lors des Jeux de la IXe Olympiade organisés dans la capitale des Pays-Bas, avec cinq épreuves au programme. Mais il en est une qui suscite la controverse : le 800 m gagné par l’Allemande Lina Radke. De fausses impressions, des rapports falsifiés dans la presse, l'inquiétude du corps médical à l'époque, provoquent par la suite l'interdiction de cette épreuve pour les 32 années suivantes. Explications avec le docteur Richard Budgett, directeur médical et scientifique du CIO et sa vice-présidente Anita DeFrantz.
Lors des Jeux d'Amsterdam en 1928, les femmes sont enfin admises dans les épreuves d'athlétisme. En l'occurrence, il y en aura cinq : le 100 m, le relais 4x 100 m, le saut en hauteur, le lancer du disque et le cas très particulier du 800 m. Pour comprendre la raison pour laquelle il a fallu attendre les Jeux de la IXe Olympiade pour que les femmes puissent s'aligner dans ce sport, mais également en gymnastique, nous avons interrogé Richard Budgett, l'actuel directeur médical et scientifique du CIO et champion olympique d'aviron en 1984.
"Au début, il y a plus de 100 ans, les idées, qu'elles soient sociales ou médicales, étaient très différentes d'aujourd'hui", explique-t-il. "En particulier, dans l'environnement social de l'élite aristocratique qui pratiquait un sport de gentlemen, les femmes devaient être protégées, elles étaient délicates, il y avait aussi ces notions de chevalerie, de galanterie, etc. C'était la façon dont on voyait les choses dans ces milieux. Il en allait de même pour Pierre de Coubertin et les membres du CIO."
"Et puis le corps médical se trompait", ajoute-t-il ,"en considérant que l'exercice physique était dangereux pour les femmes, que trop d'efforts auraient des répercussions sur leurs fonctions reproductrices. Le sport était certes pour tout le monde, le baron de Coubertin lui-même encourageait sa pratique par les femmes, mais il y avait cette idée que la compétition, les efforts intenses n'étaient pas pour elles… Ce qui bien sûr était totalement faux. Puis des voix plus progressistes se sont fait entendre dans les années 1920 au sein du CIO et cela a amené à l'inclusion des femmes dans plusieurs sports."
Une superbe finale du 800 m gagnée par Lina Radke, mais…
L'Américaine Betty Robinson est la première championne olympique du 100 m, le Canada remporte le relais 4 x 100 m féminin, une autre Canadienne, Ethel Catherwood, ouvre le palmarès du saut en hauteur, et la Polonaise Halina Konopacka celui du lancer du disque. Et le 2 août 1928, devant les tribunes bien remplies du stade olympique d'Amsterdam, c'est l'heure de la finale du 800 m.
Le meilleur temps des séries et le record olympique ont été établis dans les séries par l'Allemande Marie Dollinger. Elles sont neuf en finale. La course donne lieu à des tactiques extraordinaires de la part des coureuses qui s’affrontent pour prendre la tête. Lina Radke, une Allemande de 25 ans, produit ce qui va s’avérer comme un mouvement décisif en prenant la tête et en se détachant avec près de huit mètres d’avance dans la ligne droite opposée avant le passage du dernier virage.
Entraînée par son mari, elle jette un œil derrière elle à plusieurs reprises en vue de l'arrivée, mais elle reste hors d'atteinte, en dépit des ultimes efforts de la Japonaise Kinue Hitomi et de la Suédoise Inga Gentzel, qui doivent se contenter de l'argent et du bronze. Lina Radke bat le record du monde en 2:16.9, mais ce sont les signes évidents d'extrême fatigue affichés par les concurrentes suivantes qui vont faire la une des journaux.
Anita DeFrantz. : "Des contrevérités…"
Anita DeFrantz, vice-présidente du CIO, raconte la suite dans la Revue Olympique de juillet 1997 : "Le 800 mètres féminin se trouva placé au centre de la controverse de 1928. Les administrateurs, les membres du CIO et les médias avaient apparemment décidé une fois pour toutes que les femmes étaient trop fragiles pour courir une distance aussi longue. C’est ce qui explique que les comptes rendus des Jeux de 1928 aient non seulement dénaturé les résultats de cette course, mais que certains ont été jusqu’à en falsifier le déroulement réel à seule fin de justifier le point de vue des opposants. La conséquence malheureuse a été la suppression de cette épreuve du programme olympique jusqu’en 1960."
"John Tunis, journaliste sportif réputé à l’époque, raconta ainsi le déroulement du 800 mètres : 'Sous nos yeux, sur la piste cendrée, se trouvaient onze pauvres femmes ; cinq ont abandonné avant la fin de la course, et cinq se sont effondrées sur la ligne d’arrivée'. Manque de chance pour John Tunis. L’invention de la caméra et du film datait d’avant 1928. Les photos et les films, de même que les archives des Jeux Olympiques, montrent clairement que neuf femmes seulement ont participé à la course, pas onze. Par ailleurs, les neuf athlètes ont toutes terminé la course. La gagnante, l’Allemande Lina Radke, a établi un record mondial."
Et de poursuivre : "Il est compréhensible qu’elle-même, et quelques autres concurrentes, aient été à bout de forces après avoir couru à la vitesse du record mondial. Quelques-unes se sont couchées à côté de la piste, mais aucune n’a abandonné et aucune ne s’est écroulée d’épuisement. Et pourtant, il s’est trouvé des journalistes qui n’ont pas hésité à écrire des contrevérités pour plaire à une administration machiste et, en fait, empêcher pendant trente-deux ans les femmes de courir toute distance supérieure à 200 mètres aux Jeux Olympiques."
Richard Budgett : "Les femmes sont plus endurantes que les hommes"
De son côté, Richard Budgett remarque aujourd'hui : "Ces fausses nouvelles, cette anxiété du monde médical se rapportaient à un prétendu danger des courses d'endurance pour les femmes. On sait bien que tout le monde peut s'écrouler de fatigue. Si c'est pendant la course, il y a de quoi s'inquiéter, mais à la fin c'est tout à fait normal après un gros effort. C'était de la part du corps médical une mauvaise interprétation de la vulnérabilité des femmes. On a par la suite compris que les femmes pouvaient courir et disputer ce type de compétition en toute sécurité. Maintenant, on sait que femmes comme hommes peuvent s'entraîner très dur s’ils s'alimentent et récupèrent correctement. Il n'y a plus aucune restriction dans aucun sport. Et aujourd'hui, nous sommes proches de la parité totale. Cela a pris beaucoup de temps !"
Lina Radke est donc la première championne olympique allemande en athlétisme, et la seule médaillée d'or du double tour de piste jusqu'à la victoire de la Soviétique Ludmila Shevtsova sur la même distance aux Jeux de Rome en 1960.
Il faudra encore attendre 1984 et la médaille d'or de l'Américaine Joan Benoit pour que les femmes disputent le marathon aux Jeux. Et le docteur Richard Budgett de conclure : "On sait désormais que les femmes ont plus d'endurance que les hommes, en particulier sur les très longues distances. Elles ont moins de force physique, mais cela n'a rien à voir avec le fait de savoir si pratiquer un sport d'endurance est approprié ou dangereux. Et cela concerne également les sports de contact ! Les femmes ne pratiquaient pas le rugby. Et aujourd'hui, on l'a vu aux Jeux de Rio 2016, c'est un spectacle fantastique !