Sarajevo 1984 : l’héritage humain a résisté à l’épreuve du temps

Sarajevo a organisé des Jeux Olympiques d’hiver impeccables en 1984. Mais huit ans plus tard, la ville a été déchirée par la guerre. L'esprit olympique et l'élan mondial de soutien - y compris une contribution importante du Comité International Olympique - ont aidé la capitale à se remettre sur pied. L'esprit continue d'être un élément central de l'identité de la région et la récente édition d'hiver du Festival olympique de la jeunesse européenne a marqué un nouveau chapitre de son histoire olympique.

Sarajevo 1984 : l’héritage humain a résisté à l’épreuve du temps
© © 2018 / Comité International Olympique (CIO) / STEVANOVIC, Srdjan (photographe)
© CIO/Srdjan STEVANOVIC

Peu de villes olympiques ont eu à surmonter autant de difficultés après les Jeux que Sarajevo. En 1984, elle faisait partie de la Yougoslavie, qui est devenue le premier État socialiste à accueillir des Jeux d’hiver. Parmi les temps forts de cette édition, signalons la Norvégienne Eirik Kvalfoss qui a dominé le biathlon, l’Allemande de l’Est Katarina Witt, qui a brillé en patinage de vitesse, et les performances parfaites des patineurs artistiques britanniques, Jayne Torvill et Christopher Dean. Les Jeux ont modernisé l’image de la ville, rafraîchi ses infrastructures et dynamisé sa passion pour le sport.

Mais huit ans plus tard, Sarajevo s’est retrouvée au cœur de la sanglante guerre bosniaque. Le conflit, qui a duré de 1992 à 1995, a brièvement divisé la ville olympique en deux territoires distincts.

Une Bosnie-Herzégovine indépendante a vu le jour, mais sa capitale a été détruite - y compris la plupart des bâtiments et des infrastructures développés pour les Jeux. Ce fut un coup dur et symbolique porté au riche héritage olympique de Sarajevo.

"Sarajevo a connu le plus long siège de l’histoire moderne de la guerre", explique Nedzad Fazlija, quintuple olympien et chercheur principal dans les domaines du sport et de l’éducation sportive dans le service de l’éducation, de la culture, des sports et de la jeunesse de la ville de Sarajevo. "Lors de cette destruction, aucune installation olympique n’a été épargnée."

"Les premiers bâtiments détruits à Sarajevo ont été les installations olympiques. Il était très difficile de vivre en ville, de se débrouiller sans eau, sans nourriture, sans chauffage. Pour le sport, bien sûr, ce n’était pas une bonne époque. Mais l’esprit olympique de la ville a donné aux habitants la force de tenir un autre jour, une autre semaine, un autre mois. Ces derniers s’entraidaient comme ils le pouvaient."

Au cours des 24 années qui se sont écoulées depuis la fin des hostilités, cette solidarité a émergé. "Elle a poussé les habitants à nettoyer les ruines, à réparer les bâtiments, les routes et les infrastructures. Sarajevo progressait tous les jours, et la vie est revenue dans la ville", confie Nedzad Fazlija.

© 2016-Olympic Committee of Bosnia and Herzegovina

La ville a géré l’héritage et les dommages causés par le conflit d’une manière admirable. La coopération internationale et interorganisations, ainsi que l’énergie des volontaires, ont été vitales. Le village olympique de Mojmilo, réduit en miettes, a été réhabilité en partenariat avec la ville de Barcelone. Grâce à ces initiatives de solidarité, Barcelone et Sarajevo sont même jumelées depuis 2000. Le CIO, quant à lui, a contribué de manière significative à la reconstruction du gymnase olympique de Zetra en faisant don de 11,5 millions de dollars pour soutenir les efforts de la force de stabilisation en Bosnie-Herzégovine.

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Le bâtiment, inauguré en 1982 par Juan Antonio Samaranch, a été baptisé du nom de l’ancien président du CIO après son décès en 2010. Aujourd’hui, le site accueille des concerts, des foires et des conférences, ainsi que les équipes nationales bosniaques de handball, de futsal et de hockey sur glace. En juillet 2018, il a abrité les Championnats d’Europe U18 de judo.

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"Très peu de temps après la fin de la guerre, les jeunes ont recommencé à pratiquer des activités sportives, mais sans installations", indique Nedzad Fazlija. "Jour après jour, il s’agissait de réparer. Mais ce désir de succès, qui démontrait l'envie de se battre pour son pays dans les compétitions sportives, a donné un nouvel espoir aux habitants afin de se lancer dans un nouveau combat, celui de restaurer la ville en ruines et continuer à se battre pour le pays dans le domaine sportif."

Après les Jeux, si la piste olympique de bobsleigh et de luge a été bien utilisée, elle est devenue plus tard une position d’artillerie pour les forces bosno-serbes. Fortement endommagée, les efforts de sa restauration ont commencé en 2014 avec l’aide de volontaires, de la fédération nationale de bobsleigh et d’une subvention de la Fédération internationale de luge, qui a également fourni un soutien sur place. Par la suite, la Slovaquie a commencé à utiliser le site comme base d’entraînement d’été, et la Pologne, la Turquie, la Slovénie, la Croatie et la Serbie lui ont emboîté le pas.

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De multiples célébrations d’anniversaire ont eu lieu au fil des ans. Lors du dixième anniversaire, en 1994, des expositions et des concerts ont eu lieu dans le théâtre national de la ville, malgré les tirs d’artillerie qui avaient lieu tout autour. Vingt ans plus tard, un nouveau Musée olympique de Sarajevo a ouvert ses portes dans le gymnase olympique Juan Antonio Samaranch. Il présente des artefacts des Jeux de 1984 et donne aux artistes contemporains de la région une chance d’exposer. Et 30 ans après leur sacre, Jayne Torvill et Christopher Dean sont revenus à Sarajevo en 2014 pour danser leur désormais légendaire Boléro.

Les Jeux, qui continuent de jouer un rôle central dans l’identité de la région, sont considérés comme un symbole de force et un moyen de célébrer la consolidation de la paix et la coopération interrégionale. De nombreux sites sont explicitement désignés comme "olympiques" (le gymnase olympique de Skenderija ; la montagne olympique de Bjelašnica ou le stade olympique). On peut encore apercevoir les anneaux dans toute la ville et dans le centre, de nombreux magasins vendent des souvenirs liés aux Jeux (la mascotte, Vučko, est particulièrement populaire).

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En février 2019, le Festival olympique de la jeunesse européenne d’hiver s’est déroulé dans toute la région. Huit sports figuraient au programme de l’événement qui a bénéficié de la participation de plus de 1 200 volontaires, alors que 46 CNO ont envoyé plus de 900 athlètes. La station de ski revitalisée de Bjelašnica était au cœur de cet événement, et elle continuera à bénéficier à la population locale pendant des années.

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"Sarajevo a été un hôte qui a organisé les Jeux Olympiques d’hiver avec beaucoup de succès", indique Nedzad Fazlija. "Nous sommes l’une des rares villes pouvant se vanter d’être une ville olympique. Nous en sommes très fiers, nous l’apprécions et nous sommes reconnaissants de la confiance qu’on nous a accordée. Un grand nombre de volontaires ont été associés à tous les domaines de la préparation. Tout le monde était fier."

"Cette atmosphère, qui a régné pour les Jeux, a créé ce que nous appelons l’esprit olympique, qui est resté jusqu’à ce jour. Nous avons construit des installations, mais le bénéfice le plus important est l’esprit olympique. Il motive les habitants et les incite à s’investir dans le sport, à s’entraîner ou simplement à être des supporteurs."

"Bénéfice durable, l’esprit se transmet de génération en génération. Presque tous les enfants pratiquent un sport. L’esprit olympique génère de nouveaux athlètes, de nouveaux fans de sport loisirs."

Ce sont ces personnes - l’héritage humain de Sarajevo 1984 - qui représentent l’avenir de cette grande ville.