Le plus ancien des symboles olympiques modernes est un hymne
Vous l'avez sûrement entendu si vous avez regardé une cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques. Une pièce de musique somptueuse qui s'apparente à un opéra du XIXe siècle. D'où vient-elle ? Nous levons le voile sur l'hymne olympique, une histoire vieille de 124 ans.
Sonnez trompettes, battez tambours ! On peut entendre à plusieurs occasions l'hymne olympique lors des Jeux. Pour commencer, c'est toujours lors de la cérémonie d'ouverture que l'œuvre du compositeur grec Spýros Samáras et les paroles du poète Kostís Palamás résonnent face aux athlètes et au public du stade olympique.
L'hymne olympique est en fait le plus ancien symbole des Jeux modernes. La tâche de le composer est confiée au très renommé compositeur grec pour donner une identité sonore aux Jeux d'Athènes 1896, les premiers Jeux de l'ère moderne, qui se déroulent deux ans après la création du CIO par Pierre de Coubertin. La réputation de Spýros Samáras, à l'époque âgé de 35 ans, n'est plus à faire sur le continent européen. Dix ans plus tôt, son opéra en trois actes "Flora Mirabilis" a été joué à la Scala de Milan. Très appréciés, ses opéras sont interprétés dans toutes les grandes villes d'Europe et du Moyen-Orient. Il est considéré comme l'égal des compositeurs italiens Giacomo Puccini, Ruggero Leoncavallo ou Pietro Mascagni, ses contemporains.
Un ensemble de neuf orchestres philharmoniques et de 250 choristes !
Le 6 avril 1896, les Jeux d'Athènes commencent. Le Stade panathénaïque est comble pour la cérémonie d'ouverture, un public estimé à 80 000 spectateurs enthousiastes. Le Roi Georges 1er de Grèce prononce ces simples paroles : "Je proclame l'ouverture des premiers Jeux olympiques internationaux à Athènes !", et... "dès que les longs applaudissements des spectateurs cessèrent, un orchestre et un chœur, gigantesques par rapport à la ville d'Athènes en cette fin de siècle, entonnèrent en plein cœur du stade l'hymne olympique composé par l'illustre musicien grec Spýros Samáras et inspiré des odes pindariques du poète Kostis Palamás", écrit un témoin oculaire, le gymnaste devenu un célèbre pédagogue et dirigeant du sport grec Ioannis Chrissafis.
Si les moyens de sonorisation n'existent pas encore à l'époque, c'est tout comme. Samáras en personne dirige ce jour-là un ensemble de neuf orchestres philharmoniques et de 250 choristes ! Chrissafis ajoute : "Cette imposante formation symphonique sut toucher si profondément l'âme des spectateurs que tous, du roi au citoyen le plus modeste, voulurent réécouter ce chant. Le morceau fut donc rejoué."
"Descends ici, parais, brille comme l'éclair"
L'hymne olympique, ce sont également les paroles du fameux poète grec Kostís Palamás, né à Patras en 1859. Il a publié son premier recueil de poésie très remarqué en 1886. "Pour les écrivains aimant Victor Hugo, adressez-vous de ma part au poète grec Kostis Palamas [...]. Il est un des mieux qualifiés pour en parler : car il est un Hugo hellénique", parle ainsi de lui l'écrivain Romain Rolland dans une lettre à Jean Guéhenno.
Les trois strophes rédigées par Palamás pour accompagner la composition de Samáras jettent un pont entre les Jeux antiques et les Jeux modernes :
"Esprit antique et éternel, créateur auguste,
De la beauté, de la grandeur et de la vérité
Descends ici, parais, brille comme l'éclair,
Dans la gloire de la terre et de ton ciel.
Dans la course et la lutte et le poids
Des nobles jeux éclaire l'élan,
Prépare la couronne
Faite de la branche immortelle,
Et donne au corps la force
De l'acier et la dignité.
Les campagnes, les monts,
Les mers brillent autour de toi,
Comme un grand temple fait
De pourpre et de blancheur,
Et dans le temple ici accourent tous les peuples
Esprit antique et éternel"
L'hymne disparaît…mais revient définitivement en 1960
La musique reste toujours une composante importante des célébrations olympiques, elle est même intégrée aux concours d'art entre les Jeux de Stockholm 1912 et ceux de Londres 1948, et des médailles sont attribuées pour des œuvres musicales en tous genres : compositions pour un instrument, œuvres pour chœurs et solistes, compositions pour orchestres. Mais l'hymne olympique de Samáras et Palamás disparaît du programme pendant plus de 60 ans.
En effet, lors des cérémonies d'ouverture, soit il n'y a pas d'hymne (surtout lors des premiers Jeux du XXe siècle), soit c'est l'œuvre d'un compositeur local qui est interprétée, soit encore c'est tout simplement l'hymne national du pays hôte qui retentit. Enfin, lors de la 55e Session du CIO à Tokyo en 1958, l’œuvre de Spýros Samáras est jouée pour la "séance d'ouverture" par l’orchestre et le chœur de Tokyo. Les participants sont subjugués. Le Prince Axel de Danemark, membre du CIO, propose alors que "l'on revienne à ce pæan, au lieu de ce qui a été composé récemment et qui ne plaît pas à la majorité des membres". Cette proposition est adoptée à l'unanimité.
Ainsi, l'hymne olympique est rejoué pour la première fois lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux d'hiver de Squaw Valley le 18 février 1960 devant le public de la Blyth Arena, puis aux Jeux d'été de Rome le 25 août de la même année, où l'hymne composé en 1896 retentit dans le stade olympique de la Ville éternelle, interprété avec des paroles adaptées en italien par le professeur Sigfrido Troilo et un arrangement musical du chef d'orchestre Bonaventura Somma.
À partir de là, l'hymne olympique est définitivement intégré dans le protocole. Il est joué après le défilé des athlètes et l'ouverture officielle des Jeux prononcée par le chef d'État du pays hôte. Il peut également être utilisé pour les athlètes médaillés d'or participant aux compétitions à titre individuel ou par exemple, comme en 1992, pour les champions et championnes de l'Équipe unifiée qui réunissait douze équipes issues de l'URSS. On l'entend également lors des cérémonies de clôture.
Kostís Palamás dans toutes les langues
Les paroles de Kostís Palamás sont fréquemment traduites dans la langue du pays hôte, comme en anglais pour les Jeux de Los Angeles en 1984 ou ceux d'Atlanta en 1996, mais les paroles originales en grec sont également chantées, comme à Montréal en 1976, à Calgary en 1988, à Sydney en 2000 et, bien sûr, à Athènes en 2004.
Lors des derniers Jeux d'été disputés à ce jour, ceux de Rio 2016, l'hymne olympique a été interprété en anglais par une chorale d'enfants tandis que les drapeaux olympique et brésilien étaient hissés à deux mâts au centre du stade. Et pour ceux d'hiver à PyeongChang en 2018, la soprano coréenne Sumi Hwang l'a chanté en grec à l'ouverture, tandis qu'Oh Yeon-joon, 11 ans, l'a interprété en anglais lors de la clôture.
En 1896, et depuis 1960, il s'agit toujours d'un moment particulièrement émouvant qui fait pleinement partie du protocole olympique.