Romane Dicko, des tribunes de Rio 2016 aux tatamis de Tokyo 2020
Aux Jeux de Tokyo, Romane Dicko est l'une des grandes chances de médaille du judo français. À seulement 21 ans, elle s'est affirmée comme une favorite au titre olympique dans la catégorie des + 78 kg. Symbole de sa progression rapide, les Jeux Olympiques n'étaient qu'un rêve pour elle quand elle a assisté aux JO de Rio 2016. Cinq ans plus tard, elle représente la France à Tokyo 2020, en 2021. Portrait.
Vingt-sept victoires consécutives.
C'est en étant invaincue depuis le 22 novembre 2019 que Romane Dicko s'apprête à participer aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020, en 2021. Dans l'équipe de France de judo, personne ne fait mieux. Même pas la nouvelle championne olympique Clarisse Agbégnénou ou le double champion olympique en titre Teddy Riner.
Grand Slam, Grand Prix, Championnats d'Europe, Masters : la + 78 kg a tout gagné depuis plus d'un an et demi. Mais l'essentiel est ailleurs. Pour elle, « ces succès sont des étapes vers l'objectif olympique », lors d'une interview exclusive avec Tokyo 2020.
Si le circuit mondial lui a permis de tester des choses en prévision des JO, ces titres lui ont offert le statut de tête de série à Tokyo 2020.
À seulement 21 ans, la Française occupe la sixième place du classement mondial de sa catégorie. Un véritable exploit à son âge. « C'est un truc de fou, je suis la plus jeune de l'équipe. Mais j'essaye de ne pas y penser. C'est avant tout la récompense du travail mis en place depuis quelques années », relativise Romane Dicko.
Prétendante au podium olympique, elle reste sur 14 victoires consécutives par Ippon. Le symbole du judo offensif d'une combattante qui n'a pas de temps à perdre. Au Masters de Doha, elle a eu besoin de moins de neuf minutes pour gagner ses quatre combats.
« Je ne veux pas passer quatre minutes sur le tapis si je peux en passer deux. J'aime être sur l'attaque et être percutante, j'aime le judo et faire tomber. C'est un sport de combat alors j'avance. Je veux mettre de l'engagement dès les premières séquences pour prendre l'ascendant, c'est super important », explique-t-elle.
Et cet état d'esprit ne date pas d'hier. « J'ai mis 1 min 24 pour gagner mes quatre combats aux Championnats d'Europe cadets en 2016. La finale n'avait duré qu'une dizaine de secondes, les gens étaient choqués », se rappelle Romane Dicko.
Émilie Andéol : « La prochaine fois, c'est toi ! »
Ce titre de championne d'Europe cadette a attiré l'attention sur elle. À l'époque, elle n'était ni championne de France, ni ceinture noire. Les Jeux Olympiques semblaient très loin. Mais elle a quand même pu y goûter.
Dans le cadre d'un projet avec son club, la Francilienne est partie aux Jeux de Rio 2016. « J'avais 16 ans, j'étais émerveillée, c'était fou. C'était une chance d'assister à la compétition référence dans le monde du judo. Pour moi, j'étais une petite et j'allais voir les grands », se remémore la judokate. Ce séjour carioca avait d'ailleurs été le théâtre d'une annonce peut-être prémonitoire.
Titrée en +78 kg lors des Jeux de Rio 2016, Émilie Andéol avait reconnu sa jeune partenaire d'entraînement dans les tribunes de la Carioca Arena. Elle était allée la saluer après son succès sur Idalys Ortiz en finale. « On était au premier rang. Elle a croisé mon regard et m'a reconnu. Elle m'a dit « la prochaine fois, c'est toi ! » Ça semblait fou. C'était un rêve, mais ça semblait loin, inatteignable. J'espérais avoir une chance d'être sur le tapis pour les Jeux de Paris 2024. À ce moment-là, je ne me dis pas du tout que dans quatre ans j'allais y être », se souvient Romane Dicko.
« Je n'avais même pas encore touché au haut-niveau. J'allais entrer à l'INSEP. Pour moi, c'était ça la première étape. Dans mon esprit, le haut niveau c'est quand tu performes sur le circuit mondial. Moi, à cette époque, je visais les Championnats de France. Il y avait des grandes avant moi, je me situais dans la génération Paris 2024 », poursuit-elle.
Et pourtant, à Tokyo 2020, c'est bien elle qui représentera la France dans la catégorie des +78 kg. La petite est rapidement devenue grande. Et elle a commencé à battre les filles qu'elle admirait encore quelques mois plus tôt.
Romane Dicko s'est démarquée dès la fin de l'année 2016 avec une victoire aux Championnats de France. Elle n'était même pas encore ceinture noire. Cette précocité lui a rapidement attiré des comparaisons avec Teddy Riner.
Quand elle est sacrée championne d'Europe seniors deux ans plus tard, les parallèles avec le décuple champion du monde se sont multipliés. Et c'est à ce moment-là que le déclic a lieu. Tokyo 2020 ne sera pas un rêve mais un objectif pour la native de Clamart.
Presque deux saisons blanches à cause des blessures
« Gagner un championnat, ça marque les esprits. Ce jour-là, j'ai battu des filles qui avaient des médailles internationales. J'étais jeune mais j'arrivais à faire des résultats en battant des filles qui sont fortes. Je me suis mise à viser les Championnats du monde pour entretenir cette bonne dynamique au moment où la phase de qualification olympique débutait. J'ai senti que j'étais capable d'aller chercher cette sélection », se souvient-elle.
Mais trop forte, trop tôt, son corps n'a pas réussi à suivre. Une blessure à une épaule puis une autre à un genou l'ont écartée des tapis pendant presque deux ans. Celle qui avait relevé tous les défis à une vitesse grand V était stoppée en pleine ascension.
« Ce n'était pas facile, j'ai dû me faire opérer de l'épaule mais je me disais que je n'avais que 18 ans, j'étais jeune et j'avais encore deux ans avant les Jeux Olympiques. Pour le genou, c'était plus compliqué. Plus long, plus difficile à rééduquer... Les Jeux approchaient, j'étais à l'arrêt alors que toutes mes adversaires avançaient ».
Dans le classement mondial, elle a reculé. Mais son absence du circuit mondial n'a pas été un coup d'arrêt pour autant. Elle en a profité pour refaire son retard dans plein de domaines.
« J'avais 18 ans. J'étais un bébé qui pensait qu'il fallait tout faire vite. Mais en fait, il faut faire les choses bien. J'ai travaillé pendant un an et demi, j'ai pu mettre des choses en place. Ça a été bénéfique. J'ai beaucoup appris sur moi-même. J'ai appris à me gérer, mes limites. J'ai franchi un cap. Maintenant, je suis plus forte qu'il y a trois dans tous les domaines. »
À LIRE AUSSI : Toute la délégation française aux Jeux Olympiques de Tokyo
J'ai tellement pleuré à Osaka, je ne pensais pas y arriver
Je me disais que j'étais devenue grave nulle
Comment Romane Dicko est devenue invincible
Pour garder le cap dans cette période difficile, comme pour assumer une réputation grandissante, elle a pu compter sur son entourage. Dans son cercle familial, on retrouve notamment Teddy Tamgho. L'ancien recordman du monde en salle de triple saut est son cousin. « Je suis bien entourée et c'est une chance. J'ai souvent demandé des conseils à mon cousin Teddy. Tout est bon à prendre, notamment en terme de gestion des blessures. »
Physiquement, elle « a travaillé pour se refaire une armure » en prenant presque 20 kg pour digérer son passage chez les seniors où les écarts de poids sont plus importants. Mentalement, elle a profité d'un suivi pour s'affirmer et garder le cap. Techniquement, elle a enrichi sa palette pour s'offrir une plus grande variété de mouvements et sans cesse trouver la solution face à des adversaires qui l'attendent sur son harai-goshi (mouvement de hanche).
Dans l'ombre, elle s'est transformée en machine à gagner. Mais elle ne s'en est pas tout de suite rendue compte. À son retour à la compétition, elle a enchaîné deux éliminations précoces aux Championnats de France et au Grand Slam d'Osaka.
« J'ai tellement pleuré à Osaka. Je ne pensais pas y arriver. J'étais devenue grave nulle. Mais la fédération avait confiance en moi », avoue-t-elle. Cette défaite japonaise à l'automne 2019 est la dernière en date pour elle.
Retenue pour les premiers tournois de l'année 2020, elle a changé de visage. Elle est devenue invincible. Romane Dicko a grimpé dans le classement mondial et dépassé Anne-Fatoumata M'Bairo ou Julia Tolofua pour devenir la numéro 1 française et s'offrir un ticket pour les Jeux de Tokyo.
« Plus personne ne m'attendait. Même chez les Françaises. Je suis devenue une guerrière, je n'avais plus rien à perdre. Je ne voulais plus avoir de regret et faire tout ce qu'il fallait dans ces six derniers mois. Au final, il y a eu le report des Jeux qui m'a permis de grimper encore un peu plus au classement et de me laisser le temps de bien me préparer. Il n'y avait plus d'urgence », explique-t-elle.
Et même s'il n'y avait pas urgence, la jeune fille a préféré ne pas traîner pour s'affirmer comme une favorite au titre olympique dès ses 21 ans.
Ce vendredi 30 juillet, la Française se présentera au Nippon Budokan pour tenter d'étirer sa série d'invincibilité et réaliser l'exploit annoncé à Rio 2016 par Émilie Andéol.