Les quatre années d’une olympiade sont longues. D’autant plus avec une année supplémentaire en raison du report des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 en 2021. Mais pour Pierre Houin, champion olympique d’aviron en deux de couple poids légers, c’était encore plus long.
Depuis son titre de champion du monde en 2017, conquis un an après la médaille d’or olympique de Rio 2016, la vie sportive de Pierre Houin a été marquée par les changements et les incertitudes.
Le propre d’un sportif ? Certes, mais la série d’événements avec laquelle le rameur de 26 ans a dû composer pourrait étourdir le commun des mortels.
Tout à reconstruire
Après les Mondiaux de Sarasota 2017, aux États-Unis, son partenaire Jérémie Azou, qu’il considère comme son « ami et mentor » a décidé de mettre un terme sa carrière sportive.
Un départ qui a d’abord « attristé » Pierre Houin, comme il l’a confié lors d’une interview exclusive avec Tokyo 2020, avant de lui procurer une forme de « micro-soulagement » car il avait tendance à lui « attribuer tous ses succès tant il était stratosphérique » et que désormais, il avait l’opportunité de relever le défi d’être « performant sans Jérémie ». Puis au vu des résultats décevants, ses émotions ont évolué et la tristesse est revenue. Il est même passé par une phase où il lui en a voulu, même s’il comprenait parfaitement les raisons de son départ. « L’instinct est plus fort que nous », admet-il.
Mais d’un point de vu sportif, une page de l’aviron français se tournait. Une nouvelle page à écrire, donc, pour le nouveau leader du deux de couples poids léger, l’embarcation phare de la discipline en France, également médaillé debronze à Sydney 2000 avec Pascal Touron et Thibaud Chapelle. Cependant, cette histoire ne s’écrit pas seul. Il a fallu trouver un partenaire.
C’est d’abord Thomas Baroukh qui a partagé le bateau avec Houin, mais cela n’a pas fonctionné. Puis Thibault Colard a gagné sa place, mais cela n’a pas fonctionné. C’est ensuite son ami Hugo Beurey qui a été choisi par la Fédération française d’aviron, et qui devrait être l’association qui ira chercher sa qualification pour Tokyo 2020 lors de la régate olympique mondiale, du 15 au 17 mai prochain à Lucerne (Suisse).
En attendant, Houin et Beurey défendront les couleurs de la France lors des Championnats d’Europe, à Varèse en Italie, du 9 au 11 avril.
Mais si la composition du bateau reste inchangée, c’est sa configuration qui a été inversée.
À la nage
Depuis le départ d’Azou, les différents partenaires de Pierre Houin ont toujours occupé la position du champion olympique : à la « nage », c’est à dire à l’avant du bateau. Toujours, jusque à aujourd’hui. Il y a quelques semaines, Pierre Houin et Hugo Beurey ont décidé d’intervertir les positions. C’est maintenant Houin qui prend la position de son ancien mentor.
Une décision d’apparence anodine mais qui nécessite de nombreux ajustements. Avec pour résultat une meilleure optimisation des qualités de chacun.
« Être à la nage demande une certaine régularité, qui n’est pas le point fort d’Hugo. Alors que la position de 2 [à l’arrière] demande beaucoup de concentration et d’adaptation, des qualités qu'Hugo possède. On se sent beaucoup mieux. Je suis libéré à la nage et Hugo arrive beaucoup mieux à s’adapter. »
Désireux de « prendre les choses en main », le natif de Toul peut désormais être à 100% dans son bateau, et ramer en harmonie avec son partenaire.
« À l’arrière, j’étais bridé car j’avais du mal à être en phase avec ce qu'Hugo pouvait mettre en place techniquement. Je restais à 50-60 % de mes capacités. C’était frustrant car je n’étais pas à 100 % et si j’y allais, j’allais à l’encontre de mon collègue. Du coup, on se retrouve à se battre l’un contre l’autre. On a désormais réussi à faire en sorte que chacun puisse exploiter au mieux son potentiel et on a pallié les principaux soucis de ces dernières années. »
Houin/Beurey, une association qui peut encore changer
Si les résultats sont satisfaisants lors des Championnats d’Europe, c’est cette association qui ira disputer la qualification olympique en mai prochain. Car oui, tout peut encore changer, à seulement un mois de l’échéance.
Et pour Pierre Houin, impatient de « se mesurer au gratin européen » dont font notamment partie l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne ou encore la Suisse, un résultat satisfaisant serait l’une des deux première places parmi les bateaux qui ne sont pas encore qualifiés pour les Jeux, auxquels il sera opposé à Lucerne.
Lors de l’Euro 2020 en octobre dernier, Houin et Beurey ont remporté la finale B. Le meilleur résultat de ces dernières années, qui a « rassuré » Pierre Houin car ils ont « remporté une finale, qui plus est devant de bons bateaux ». Mais il faudra faire encore mieux à Varèse pour tenter d’aller chercher un deuxième titre olympique à Tokyo 2020. Car seuls les deux premiers de la régate de qualification olympique obtiendront leur billet olympique, et les bateaux chinois et australiens seront également de la partie.
J’ai la maîtrise de ma performance et cela me permet de ne pas douter. D’être serein.
Expert en incertitude
Si l’avenir sportif de Pierre Houin peut basculer d’un côté comme de l’autre, il avance pourtant sereinement.
« À part le calendrier, je contrôle globalement tous les éléments qui m’entourent. J’ai la maîtrise de ma performance et cela me permet de ne pas douter. D’être serein », confie l’étudiant en master 2 de management, qui donne également des conférences sur la manière d’agir face à l’incertitude, notamment dans ce contexte de crise sanitaire.
Car l’incertitude, Pierre Houin y fait face depuis plusieurs années. En aviron, les places dans le bateau olympique valent chères, et il en a fait l’expérience en 2016, à quelques mois des Jeux Olympiques de Rio.
L’association Jérémie Azou et Stany Delayre, forte d’un titre de champion du monde en 2015 et d’une quatrième place aux JO de Londres 2012, était annoncée comme future championne olympique. Mais les Championnats de France 2016 de skiff poids légers (individuel) ont boulversé la hiérarchie.
Le jeune Pierre Houin, 21 ans à l’époque, a devancé Delayre, relégué en troisième position. La Fédération a alors fait le choix d’écarter le partenaire d’Azou, qui plus est son meilleur ami dont la fille est sa filleule, et de faire rentrer Houin dans le bateau olympique. Un véritable coup de tonnerre dans le monde de l’aviron français.
« Ce que je veux, c’est être champion olympique »
Mais dans le sport de haut niveau, particulièrement en aviron, le choix sportif prime. Même si l’affect est important, les performances prennent toujours le dessus.
Aujourd'hui, Pierre Houin vit une situation similaire à quelques égards car en plus d’être son partenaire, Hugo Beurey est son ami. Mais il est conscient que tout peut changer, une nouvelle fois.
« C’est le sport de haut niveau et je ne fais pas ça pour ramer avec mes amis. Ce que je veux, c’est être champion olympique. Il faut donc faire des priorités et la première, c’est d’être avec le meilleur collègue. Si c’est mon ami, c’est du bonus. Mais il faut d’abord optimiser les chances d’être champion olympique. On se met ça dans le crâne dès le début, et on le sait. »
Évoluer dans un monde si incertain, où une différence d’une moitié de seconde peut transformer le meilleur en pire, requiert donc une prise de recul à toute épreuve. Et bien sûr, une conviction sans faille. Or Pierre Houin sais ce qu’il veut.
« Si on a la chance de s’aligner à Tokyo 2020, on veut le titre olympique. »
Une manière d’apporter un peu de constance après cinq années de navigation en eaux troubles.