Philip Boit, pionnier kényan du ski de fond et ami de Björn Daehlie !
Le 12 février 1998 à Hakuba, lors de l'épreuve du 10 km classique en ski de fond des Jeux de Nagano, Philip Boit est le premier coureur kényan à participer à une édition des Jeux Olympiques d'hiver. Il se classe bon dernier mais il est attendu dans l'aire d'arrivée par le vainqueur, le roi Bjorn Daehlie qui le félicite chaudement. Cette image fait alors le tour de monde. Philip Boit et Björn Daehlie sont devenus amis, et le champion kenyan a disputé deux autres éditions des Jeux d'hiver.
Sur les hauts plateaux de la vallée du Rift, à l'ouest du Kenya, la ville d'Eldoret, située à plus de 2 000 m d'altitude, est une terre de champions. Le plus connu d'entre-eux reste Kipchoge Keino, double champion olympique du 1 500 m (Mexico 1968) et du 3 000 m steeple (Munich 1972), deux fois médaillé d'argent (5 000 m à Mexico, 1 500 m à Munich) qui se trouve à l'origine d'un centre d'entraînement de haut niveau en altitude de l'IAAF pour les athlètes kenyans et de la création sur place d'un stade moderne qui porte son nom.
Découverte de la neige et du froid
Philip Boit est un enfant d'Eldoret né 12 décembre 1971 dans une famille de fermiers, et un excellent coureur de demi-fond qui poursuit des rêves de gloire olympique. Son oncle Mike Boit a remporté une médaille de bronze sur 800 m aux Jeux de Munich 1972. "J'ai commencé à courir au lycée, je disputais des compétitions sur 800 m et 1 500 m, et j'ai continué jusqu'au jour où je me suis mis au ski de fond, tout en pratiquant les deux disciplines jusqu'en 2000. "À partir de là, je me suis exclusivement consacré au ski", a-t-il raconté.
Soutenu par un grand équipementier sportif de renommée internationale, Philip Boit débarque en Finlande durant l'hiver 1995-1996 pour découvrir le ski de fond… mais aussi la neige. "Pour moi, le plus grand défi, c'était le froid. Il faisait -17°C quand je suis arrivé à Helsinki. L'autre difficulté majeure était de chausser les skis. Cela nécessite une position d'équilibre que je n'avais pas. Quand j'essayais de mettre les skis, je tombais sans arrêt." Mais Philip Boit s'adapte, prend goût à la discipline, et est bientôt rejoint par un compatriote, Henry Bitok, avec qui il s'entraîne durant deux ans dans ce pays scandinave, pour préparer les Jeux d'hiver.
Il n'y a qu'une place pour le Kenya pour les épreuves de ski de fond des Jeux de Nagano 1998 et Philip Boit se qualifie pour disputer l'épreuve du 10 km classique. Il est bien entendu le tout premier athlète de son pays à disputer des Jeux d'hiver, mais pas le premier africain puisque le Sénégalais Lamine Gueye a ouvert la voie en ski alpin à Sarajevo en 1984. Philip Boit est l'unique compétiteur et le porte-drapeau de sa délégation lors de la cérémonie d'ouverture.
L'émouvante accolade de Björn Daehlie
Le 12 février dans le stade de Hakuba, Philip Boit est le dernier des 97 concurrents à prendre le départ. Dossard n°45, le Norvégien Björn Daehlie remporte largement ce 10 km en style classique sur les terres nippones, ce qui va porter son record au Jeux d'hiver à douze médailles dont huit en or. "Toute l'équipe de Norvège avait entendu parler de ce gars qui essayait de participer. Nous pensions que c'était vraiment intéressant et nous étions impatients de voir ce qu'il allait réussir", a-t-il confié au micro de la BBC.
Les conditions de course sont particulièrement difficiles : la pluie est tombée sur la piste, la neige est collante. Philip Boit, qui n'est pas habitué à courir sur ce terrain humidifié va passer la ligne d'arrivée bon dernier (92e compte tenu des abandons), vingt minutes après Björn Daehlie. "J'ai entendu par les hauts parleurs que Philip Boit approchait le stade, j'étais tellement impressionné qu'il se montre capable de finir la course dans ces conditions, et je voulais l'attendre, je voulais voir ce coureur finir la course", déclare l'idole du ski de fond norvégien. Dans les derniers mètres de son parcours, Philip Boit est follement applaudi par le public japonais qui crie "Go Kenya, Go Philip !"
Björn Daehlie, lui, a carrément fait retarder la cérémonie protocolaire de remise des médailles pour accueillir Philip Boit dans l'aire d'arrivée. Il se tient derrière la ligne, freine l'élan du coureur kényan en attrapant son bras, et l'enlace chaudement. Cette image qui magnifie l'esprit olympique fait bien sûr le tour du monde. "Mon entraîneur m'avait parlé de lui, je l'avais vu à la télévision et je ne pouvais pas croire que le meilleur skieur de fond au monde soit là pour me féliciter," a expliqué Philip Boit. Björn Daehlie dira aussi que Philip Boit lui aurait susurré : "Je te battrai à Salt Lake City en 2002", ajoutant : "une réponse vraiment amusante !"
Le premier enfant de Philip Boit naît quelques semaines après les Jeux de Nagano et il le prénomme Daehlie. Quand il est revenu au Kenya, il a été accueilli par des fans à l'aéroport de Nairobi, et fêté dans sa ville d'Eldoret. "Je n'arrêtais pas de leur dire "J'ai terminé dernier !" mais ils étaient si fiers et me répondaient : "Tu devrais dire que tu es le champion, car il n'y avait pas d'autres Kenyans là-bas. Tu as gagné pour le Kenya !"
Une amitié durable et une carrière prolifique !
Philip Boit devient ami avec Björn Daehlie et poursuit ses activités de skieur de fond. Il s'entraîne toute l'année à Eldoret sur des skis à roulettes, vend ses vaches pour financer sa carrière et dispute deux autres éditions des Jeux d'hiver, à Salt Lake City 2002 où il obtient son meilleur résultat en terminant 64e du sprint, laissant sept concurrents derrière lui et en 2006 à Turin où il s'aligne sur 10 km classique/10 km poursuite et sur 15 km. Il est à chaque fois le porte-drapeau kényan. Il participe à quatre Championnats du monde de la FIS et à de nombreuses courses internationales sur tous les continents.
En 2011, lors de ses derniers Mondiaux à Oslo, Philip Boit présente toute sa famille à son ami Björn Daehlie, ses quatre enfants, dont bien sûr Daehlie Boit, devenu adolescent. Björn et Philip ont continué à se voir, à s'entraîner et à courir ensemble, après leurs retraites respectives, dans des courses de bienfaisance en Norvège et ailleurs. Durant les Jeux Olympiques d'hiver qui ont suivi ceux de Nagano, les athlètes du Cameroun, du Ghana, de Madagascar, de l'Éthiopie, du Zimbabwe et du Togo ont suivi les traces de Philip Boit. "Ils se sont tous mis à la pratique hivernale parce qu'ils ont regardé la télévision en 1998 et se sont dit que si le Kenya pouvait le faire, ils le pouvaient eux aussi. Ils me disent : "Tu es un pionnier ! Sans toi, nous n'aurions pas pu nous aventurer dans les sports d'hiver", indique Philip Boit.