Patrick Mouratoglou : « Les champions ne regardent jamais en arrière »
Dans une interview avec Olympic Channel, le mentor français de Serena Williams, de Coco Gauff et de Stefanos Tsitsipas, qui dispute en ce moment même l’ATP Finals de Londres, révèle sa façon d’entraîner et pose son regard sur 2021.
Après avoir remporté Wimbledon, l’or olympique à Londres 2012 et l’US Open, Serena Williams confiait à son nouvel entraîneur, le Français Patrick Mouratoglou qu’elle avait un objectif pour la saison suivante, en 2013 : remporter de nouveau Roland Garros, plus de 10 ans après sa dernière victoire.
C’est ce genre de mentalité qui fait la différence entre les grands athlètes et le reste, explique Mouratoglou, entraîneur de Serena Williams, du Grec Stefanos Tsitsipas et de l’Américaine Coco Gauff.
C’est la mentalité d’un champion. Ou plutôt, comme le dit le Français, l’état d’esprit d’un champion.
« Les champions ont un état d’esprit différent. Ils pensent comme des champions », explique Mouratoglou à Olympic Channel dans une interview exclusive.
« Les champions ne regardent jamais en arrière. Peut importe l'ampleur de leurs succès ou échecs, ils passent à autre chose. Ils regardent l’avenir : “Qu’est-ce qui se passe ensuite ? Quel est mon prochain objectif ?” »
Et des objectifs, il y en a beaucoup dans le camp de Mouratoglou. En particulier pour Serena, qui veut absolument remporter un 24e Grand Chelem en simple, ce qui égalerait le record actuel. Williams détient déjà le record de l’ère Open pour le nombre de Tournois majeurs remportés (23).
Aider Serena dans sa quête du record en Grand Chelem
La prochaine fois que vous verrez Serena sur un court, en 2021, sa priorité sera toujours une victoire en Grand Chelem.
« Les objectifs de Serena n’ont pas changé depuis qu’elle a repris le tennis après son accouchement : elle sent toujours qu’elle peut gagner des Grands Chelems », confirme Mouratoglou.
« Si elle peut remporter une médaille d’or olympique, elle sera extrêmement heureuse, parce que c’est aussi une grande réussite pour n’importe quel athlète dans n’importe quel sport. Ses trois dernières années ont été décevantes, même si elle a atteint quatre finales du Grand Chelem, elle n’a pas été en mesure d’en gagner une. »
Williams a donné naissance à sa fille Alexis Olympia en septembre 2017. Après un premier retour à la compétition en mars 2018, Williams a atteint les finales de Wimbledon et de l’US Open en 2018 et 2019. Elle a perdu chacune de ces quatre finales en deux sets.
À l’US Open 2020, Williams a atteint les demi-finales, perdant contre Victoria Azarenka, elle aussi maman.
« Je (peux) sentir que sa motivation est absolument intacte, peut-être même plus grande pour 2021 », estime son coach.
« Ça a été difficile pour elle de trouver un nouvel équilibre entre la mère et l'athlète professionnelle. Mais je crois qu'elle en train d'y parvenir. »
« J’ai l’impression qu’elle comprend ce qu’il lui faudra pour remporter un ou plusieurs Grands Chelems. Je crois qu’elle est prête à payer le prix pour ça. Je suis donc très impatient pour 2021. Je suis impatient pour elle. »
« Chaque joueur est différent »
C’est à l’Académie de tennis Mouratoglou, située près de Nice, dans les Alpes-Maritimes, que s’entraînent régulièrement Serena, Tsitsipas et Gauff.
Tsitsipas est passé de la 91e place mondiale en 2018 au top 5 en 2020. Gauff, qui n’avait encore que 16 ans, était classée n°686 il y a à peine deux ans. Elle est désormais dans le top 50, avec de prestigieuses victoires contre Naomi Osaka, Venus Williams et d’autres grands noms du tennis.
« Ma philosophie d’entraîneur est de faire quelque chose de différent avec chaque joueur parce qu'ils sont tous différents », explique Mouratoglou, qui a eu 50 ans cette année.
« Si je repense aux années 90 quand j’ai lancé l’académie, personne ne faisait ça à l’époque. »
Façonner le jeu de Tsitsipas et Gauff
Mouratoglou, qui a également travaillé avec des joueurs comme Marcos Baghdatis, Anastasia Pavlyuchenkova, Grigor Dimitrov, Jérémy Chardy et bien d’autres, estime que l’entraînement personnalisé, même dans un sport comme le tennis qui exige beaucoup de répétition, est la clé pour fabriquer des champions.
« Pour ne pas gâcher le talent, il faut répondre aux besoins de chacun des joueurs », a-t-il déclaré. « Et ces besoins sont toujours différents. »
« Ce qui rend notre travail d’entraîneur intéressant, c’est qu'avec chaque joueur, c’est complètement différent... Je dois prendre tout cela en considération. »
Mouratoglou aime commencer avec une « page blanche » lorsqu’il démarre avec un joueur : Pourquoi jouent-ils ? Quelle est leur philosophie ? Comment sentent-ils le court ?
Serena a fait appel à Mouratoglou après sa première et unique défaite au premier tour d’un Grand Chelem, à Roland-Garros 2012. Elle cherchait de réponses.
Pour Tsitsipas et Gauff, il a contribué à façonner leur style de jeu, en tandem avec leurs parents respectifs, qui entraînent leur enfant.
« Je dois les imaginer en tant que futurs joueurs. Comment vont-ils jouer à l’avenir ? », dit Mouratoglou.
C’est ce qui rend mon travail vraiment incroyable : je dois réfléchir et innover...
(Ma) créativité, je pense, est l’une des plus grandes qualités que ce travail exige.
Serena Williams en quête de gloire
Williams, quadruple médaillée d’or olympique, a remporté 10 de ses 23 tournois du Grand Chelem en simple, mais aussi l’or olympique en simple à Londres 2012, et en double avec sa soeur Venus, après le début de sa collaboration avec Mouratoglou en 2012, à l’âge de 30 ans.
Alors qu'elle aura 40 ans en septembre 2021, la superstar du tennis ne recule devant rien. Elle s’est déjà engagée à jouer à l’Open d’Australie en janvier, le prochain tournoi du Grand Chelem.
Mouratoglou considère que l'engagement de Serena pour relever le défi de revenir à 36 ans en 2018 après avoir accouché est hors norme.
« Son retour a été extrêmement difficile pour deux raisons : son corps a complètement changé parce qu’elle est devenue mère et qu’elle a dû retrouver le corps d’une athlète professionnelle de haut niveau. C'est énorme. Deuxièmement, mentalement, car devenir mère est l’un des plus grands changements psychologiques dans la vie d’une femme. Et elle savait qu’elle devait trouver un nouvel équilibre. »
Pour Mouratoglou, tout tourne autour du « niveau » de Serena ces trois dernières saisons : elle s’est toujours retrouvée dans les tournois avec les meilleures joueuses du monde, dont l’US Open il y a quelques semaines.
« Quand vous atteignez quatre finales du Grand Chelem et la demi-finale du dernier US Open, on est proche d’en gagner un, on le sent », aanalyse-t-il. « Mais ça reste une grosse déception, parce que pour Serena, être en finale n-est pas suffisant. »
L’objectif est de gagner des titres, encore et encore. Atteindre ce 24e titre majeur est-il l’objectif ultime ?
« Je lui ai dit : “Tu veux ton propre record ?” Ce sera peut-être 24, 25, ou encore 28... Qui sait ?! »
Tsitsipas et Gauff : Champions en devenir.
Mouratoglou est fier d’être l’entraîneur de Serena, mais il travaille également en tandem avec les familles de Tsitsipas et Gauff.
Les deux jeunes joueurs ont passé beaucoup de temps à s’entraîner dans son centre en France, et il les accompagne souvent sur les plus grands tournois du circuit.
Tsitsipas, 22 ans, est devenu une star, avec cinq titres à son actif, dont l’ATP Finals en novembre 2019 (l'ancien "Masters"), qu’il dispute à nouveau en ce moment-même. Son jeu s’améliore toujours, avec un revers a une main et un jeu basé sur la puissance, mais Mouratoglou voit aussi d’autres raisons qui feront de lui un grand champion. Notamment son état d’esprit après sa défaite contre Rafael Nadal en demi-finale que l’Open d’Australie 2019.
« Je pense que 99,9% des joueurs auraient été extrêmement heureux d’atteindre leur première demi-finale de Grand Chelem, en battant Federer pour ensuite perdre contre Nadal », a déclaré Mouratoglou.
« (Stefanos) a été détruit. Il m’a dit : “Je n’arrive pas à croire ce qui vient de passer.” Il était extrêmement insatisfait de ses résultats, ce qui, selon moi, est une qualité. »
« Il veut être au sommet. C’est ce qui le motive tous les jours. Et il ne sera pas satisfait avec seulement de bons résultats. Il veut d’excellents résultats. »
À seulement 16 ans, Gauff vise loin
Gauff, de son côté, veut avoir des résultats similaires. Adolescente, elle a déjà beaucoup de pression sur les épaules. À Wimbledon en 2019, elle est devenue la plus jeune joueuse à se qualifier pour le tournoi principal (3 victoires en qualifications), puis elle a battu Venus Williams au premier tour avant d’atteindre les huitièmes de finale.
Elle s’est faite un nom presque du jour au lendemain.
Depuis, Gauff a atteint des sommets. Elle est aujourd’hui 48e mondiale (novembre 2020).
« Son potentiel est absolument énorme. Elle a tellement de qualités (et) elle n’a que 16 ans », juge le Français.
« Nous ne devons pas oublier ça. Et puis, elle a encore besoin de développer son jeu ; elle peut encore beaucoup s’améliorer. Je pense qu’on doit lui donner le temps de continuer à se développer. Le chemin à parcourir est encore long. Elle sera prête, mais ces choses prennent du temps. »
L’importance des proches
Pour Mouratoglou, le plus important est dans la tête. #StrongerTogether (Plus fort ensemble, en Français) : même dans un sport comme le tennis, l’équipe avec laquelle le joueur s’entoure est capitale.
« Pour les personnes qui n’ont jamais pratiqué de sport individuel, je ne pense pas qu’il soit possible de réaliser à quel point il est utile d’avoir ces gens autour de vous, qui sont là, qui vous aident, vous éclairent sur les points à améliorer, qui vous permettent d’utiliser tout votre potentiel et vous poussent à donner le meilleur », a déclaré Mouratoglou.
« C'est tout simplement magique d’avoir ça autour de vous. L’équipe apporte cette magie. Le fait que ce soit sur votre équipe que vous pouvez toujours compter ; de savoir qu’ils sont là pour vous, qu’ils croient en vous. »