Nishi, la surprise du dernier jour
La majorité des cavaliers ayant dû couvrir de longues distances pour rallier Los Angeles, un autre dilemme s’est fait jour : comment acheminer leur précieuse cargaison équine en toute sécurité et de façon humaine ?
Les Néerlandais, qui ont expérimenté le voyage le plus laborieux, en bateau via le canal de Panama, ont eu recours aux grands moyens de l’innovation en construisant un tapis roulant afin de garder leurs chevaux en forme durant la traversée.
Heureusement, toute la colonie – hommes et bêtes réunis – va arriver à temps et entière. Le rapport officiel note ainsi que « tous les chevaux ont très bien supporté le voyage et leur comportement n’a pas été sensiblement affecté par ces longs périples ».
Comme le veut la règle de l’époque, la plupart des spécialistes de saut d’obstacles ont appris à monter lors de leur passage dans la cavalerie, et 1932 ne déroge pas à la règle. L’un des plus éminents cavaliers à participer aux épreuves équestres de Los Angeles est Takeichi Nishi, orphelin d’un pair héréditaire de l’Empire du Japon. Bien qu’il ait hérité de la fortune de son père, à même pas 10 ans, le baron Nishi nourrit le désir intense de rejoindre les rangs militaires et, en 1916, il intègre l’école militaire des cadets. En un clin d’œil, il se retrouve pour la première fois à cheval et il commence rapidement à peaufiner ses talents de cavalier tout en grimpant dans la hiérarchie militaire.
En avril 1922, Nishi bénéficie de l’opportunité de se consacrer pleinement au sport équestre tout en poursuivant sa carrière militaire, et il est affecté au Premier régiment de la cavale-rie japonaise.
À la fin de la décennie – désormais marié et père de deux enfants – il s’est hissé dans la hiérarchie tant militaire que sportive : il est promu premier lieutenant et frappe sérieuse-ment à la porte de l’équipe japonaise appelée à se rendre à Los Angeles.
Il fait même partie d’une délégation qui va superviser les installations équestres olympiques, et ce voyage lui permet de rencontrer un certain nombre de célébrités, notamment les acteurs de cinéma Douglas Fairbanks et Mary Pickford. Ce qui était censé être une mission de reconnaissance s’est transformé en un réveil à la vie sociale. Nishi apprécie d’ailleurs les sorties nocturnes en compagnie de ses nouvelles connaissances célèbres et de jeunes officiers du monde entier.
En juillet 1930, lors d’un séjour en Italie, il achète un nouveau cheval, Uranus, et l’année suivante, il est sélectionné officiellement pour représenter le Japon à Los Angeles. L’équipe établit son camp de base dans une villa louée près du Riviera Country Club et Nishi assume à nouveau son rôle de play-boy en chef, en se rendant chaque jour à l’entraînement au volant d’une automobile de luxe, une Packard décapotable flambant neuve.
Les épreuves équestres étant programmées le dernier jour des Jeux, le risque est grand pour Nishi de se consumer avant même la compétition. Mais le 14 août, le Japonais de 30 ans montre aux 100 000 spectateurs massés dans le stade olympique qu’il est autant un travailleur acharné qu’un fêtard invétéré.
Opposé à des adversaires privilégiés lors de la dernière des trois épreuves équestres – le prestigieux Prix des nations qui compte dix-huit obstacles de hauteurs variées, Nishi boucle le parcours en 2’42’’2 et obtient la médaille d’or.
Sa victoire est décrite le lendemain dans un journal de Pennsylvanie comme « l’une des plus grandes surprises des Jeux », puisque Nishi a repoussé les défis des « cavaliers experts des États-Unis, de Suède et du Mexique pour rafler les honneurs individuels ».
Quelle fin plus adaptée pour des Jeux mémorables dont les derniers moments sont décrits de manière évocatrice par le même journal en ces termes : « Ce fut ensuite une explosion de coups de canon et de trompettes, le baisser de la bannière olympique et l’extinction de la torche olympique signalant la fin du plus grand concours sportif international de l’histoire. »
Pour le Japon, la médaille d’or de Nishi n’est que l’une des nombreuses médailles obtenues à Los Angeles contre toute attente, mais aucune autre n’a capturé davantage l’imagination du public que celle remportée par le célèbre noctambule en herbe. D’ailleurs, après les Jeux, Nishi va devenir une espèce de célébrité à part entière en Amérique et sera même élevé au rang de citoyen d’honneur de la ville de Los Angeles.
En selle sur Uranus, Nishi participera à nouveau aux Jeux de Berlin quatre ans plus tard, mais ni lui ni ses compatriotes ne pourront rééditer le succès de 1932.
Puis arrive la Seconde Guerre mondiale et ses multiples théâtres de conflit. Le pays natal de Nishi se verra opposé en décembre 1941 à la nation où sa performance de cavalier avait fait chavirer les cœurs.
Nishi réintégrera l’armée japonaise et, en 1943, il sera promu lieutenant-colonel, où il aura en charge le commandement d’Iwo-Jima, une île située à 1 250 km au sud de Tokyo.
Il mourra en mars 1945, peu après le débarquement des forces américaines à Iwo-Jima. Parmi les thèses entourant sa mort qui ont fait l’objet d’un certain folklore, il en existe une, peut-être la plus pathétique, qui indique que tout en défendant l’île, il serrait la cravache qu’il avait utilisée lors de sa victoire olympique, et qu’il arborait dans sa poche de poitrine une touffe de la crinière d’Uranus.
En outre, tout aussi déchirant est le destin supposé d’Uranus, dont on dit qu’il aurait succombé à une maladie sept jours à peine après le décès de Nishi.
Nishi demeure à ce jour le seul Japonais à avoir été sacré champion olympique d’équitation dans les annales des Jeux.