Nicolas Massu : Chili con magic

Nicolas Massu est entré dans l’histoire du sport lors des Jeux d’Athènes en 2004. Le joueur de tennis chilien ayant figuré au mieux à la neuvième place mondiale y remporte la première médaille d’or pour son pays, en double associé à Fernando Gonzalez, avant de récidiver en simple le lendemain, auhourd’hui il y a 15 ans, et de devenir l’unique joueur à gagner simple et double lors de la même édition des Jeux Olympiques depuis le retour du sport au programme en 1988. Bien sûr, 15 ans après, il n’a rien oublié, et revient avec nous sur le sommet absolu de sa carrière.

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Nicolas Massu : Chili con magic
(Getty Images)

Revenons 15 ans en arrière, sur ce qui reste sans doute le plus grand moment de votre carrière lors des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004 où vous avez remporté deux médailles d’or, en simple et en double. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Pour moi ce furent les deux meilleures semaines de ma vie. Gagner les deux premières médailles d’or de mon pays, c’est incroyable. Déjà, le fait de participer aux Jeux Olympiques, c’est un honneur. Représenter son pays est également un honneur.

Très souvent depuis lors, on m’a demandé ce que j’avais ressenti. Le sentiment est incroyable. Quand j’étais enfant et que j’ai commencé dans le tennis, je me suis dit que je voulais faire partie de l’histoire de ce sport (1). Et aujourd’hui, je suis toujours le seul joueur à avoir remporté à la fois la médaille d’or en simple et en double lors de la même édition des Jeux Olympiques. Très souvent, je me demande comment j’ai réussi à y parvenir.

Quelle réponse pouvez-vous donner aujourd’hui avec le recul ?

Je pense que c’est lié à la confiance en soi et à la somme de travail que j’ai accumulée pour y parvenir. Le fait de représenter mon pays m’a conduit à me donner à 100 % de la première à la dernière balle. C’était un moment fabuleux parce que nous venons d’un petit pays d’Amérique du Sud où tout est difficile. Nous sommes isolés, il n’y a pas de grand tournoi organisé là-bas. Le Chili est un peu à l’écart même en Amérique du Sud. Les tournois se déroulent en Europe ou aux États-Unis. Il n’y a pas beaucoup de tournois en Amérique du Sud. Je crois que j’ai montré à mes compatriotes chiliens que tout est possible.

Du rêve à la réalité

Je viens d’une petite ville et je n’avais pas vraiment d’idole quand j’étais petit. Il n’y avait aucun joueur chilien parmi les 100 meilleurs mondiaux. Je n’avais aucune expérience, tout comme mon coach. Il a commencé avec moi. Il m’a toujours dit que les rêves peuvent se réaliser. Lui non plus ne savait pas quel chemin il fallait suivre pour y parvenir. Mais on s’est battus. On s’est entraînés comme des chiens pendant des années. Se retourner et voir ce que j’ai accompli, c’est vraiment incroyable.

Pour revenir à ce tournoi olympique, vous aviez mis toute votre énergie dans chaque point, dans chaque frappe de balle ?

Ma carrière était comme ça. J’étais un joueur qui se donnait à 100 %. C’est vraiment un trait de ma personnalité. Je me sens très serein aujourd’hui parce quand je regarde en arrière, j’ai été n°9 mondial, mais pour y parvenir, il a fallu que je donne tout ce que j’avais dans le ventre. Je ne suis pas quelqu’un qui peut regretter de ne pas avoir tout donné à un moment ou à un autre. Non, moi je me suis vraiment donné à fond. J’ai donné tout ce que j’ai pu donner. Et si je suis devenu n°9, c’est que je ne pouvais pas aller plus haut. Bien sûr, quand vous avez 20 ans, 25 ans, 30 ans, votre état d’esprit évolue. Peut-être que l’on peut se dire que j’aurais changé quelques petites choses si c’était à refaire. Quand on a 20 ans, il faut apprendre de ses expériences. Mais aujourd’hui avec le recul, je peux dire que j’ai toujours travaillé pour pouvoir vivre ma passion à fond.

Lors de ces Jeux Olympiques, je jouais en simple et double. J’arrivais au club à huit-neuf heures du matin et je restais jusqu’au soir après avoir disputé un match de simple puis un match de double. Ce n’est pas habituel. Normalement, vous allez au club pour jouer soit en simple soit en double. Je jouais tous les jours.

Et à cette époque, on jouait les finales en cinq sets. Cela fait que j’ai enchaîné la finale du double en cinq sets et la finale du simple également en cinq sets. Et en double, le match s’est fini à 6/4 au cinquième set, puis en simple à nouveau 6/4 au cinquième set. Je jouais tous les jours. La pression était énorme. Pour les autres pays comme les États-Unis, l’Allemagne, la France ou le Japon, c’est habituel de gagner des médailles. Mais pour nous, gagner trois médailles, c’était incroyable. J’ai gagné le simple, le double avec Fernando Gonzalez et il a aussi gagné la médaille de bronze en simple. Je me suis toujours dit qu’un jour, je voulais faire partie de l’histoire de mon sport. Je rêvais de gagner un tournoi du Grand Chelem, la Coupe Davis, d’être n°1 mondial ou de gagner les Jeux Olympiques. Peut-être qu’un jour j’aurais ma chance, et il faudra que je la saisisse. Lors de ces deux semaines, j’étais prêt. Et j’ai saisi ma chance. Et j’en suis heureux parce que lorsque cette opportunité s’est offerte à moi, j’étais prêt. Je m’étais énormément entraîné et lors de la finale, je n’ai pas eu peur. Que ce soit en simple ou en double. J’étais prêt mentalement.

Par exemple, j’avais joué d’abord la finale du double, la veille de la finale du simple. Et j’ai dû aller au contrôle anti-dopage tard dans la soirée et le lendemain matin, au réveil, j’ai dû me soumettre à un test sanguin. Je n’ai pu dormir que cinq heures entre la finale du double et la finale du simple. Avec toute la fatigue accumulée au long de la semaine ! J’étais allé me coucher à quatre heures du matin après la finale du double alors que mon adversaire américain Mardy Fish avait eu deux jours de repos et tout le temps de se préparer pour ce match. Alors que moi j’avais dû penser au double avec toute la pression. En fait, avant la finale du simple, j’avais la meilleure excuse possible avec toute la fatigue accumulée. J’avais réussi à remporter la première médaille d’or de toute l’histoire de mon pays. Si j’avais perdu contre Fish, il n’y avait aucun souci, c’était un excellent joueur. J’avais les meilleures excuses pour finir en deuxième position, mais je me suis battu pour aller chercher la médaille d’or. Je ne voulais pas me contenter de la deuxième place. Je voulais gagner parce que je me suis dit que c’était peut-être la dernière fois de ma vie que j’avais cette opportunité.

Je ne savais pas ce que je serai quatre ans plus tard. Je ne savais pas si je pouvais à nouveau aligner une forme pareille. Je n’avais pourtant que 24 ans. Mais je me suis dit qu’il faudrait tout de même que j’attende quatre ans pour retrouver une occasion pareille.

Je me suis interdit de penser à la moindre excuse pour expliquer une éventuelle défaite, que ce soit la fatigue ou la pression de jouer avec tout le pays derrière moi. En fait, j’ai transformé toute cette pression en motivation. Si tous les gens croient en moi dans mon pays, c’est que j’ai fait quelque chose de bien pour en arriver là. Je ne vais pas me chercher des excuses au cours de cette finale. Je vais me battre de la première à la dernière balle avec tout ce que j’ai en moi pour y parvenir. Bien sûr que j’étais fatigué, bien sûr que j’étais nerveux à l’idée de me retrouver en finale pour la médaille d’or. Mais la différence entre les tout meilleurs et les autres est cette manière de gérer ces instants-là. Avec le titre, les points, l’argent, le classement. Je pense qu’à cet instant, j’ai vraiment bien su gérer la situation. Ce n’a pas été la même chose tout au long de ma carrière.

"La forme de ma vie"

J’étais dans la meilleure forme de ma vie. J’avais confiance dans mon tennis. Je travaillais dur, j’étais en bonne santé. Mais attention, j’ai été très proche de perdre ces deux finales. On a dû sauver quatre balles de match en finale du double (dans le tie-break de la 4e manche face aux Allemands Nicolas Kiefer et Rainer Schuettler). Et en finale du simple, j’ai gagné 6/4 au cinquième set contre Fish. Le match s’est joué sur deux ou trois points. Mais même si j’avais perdu ce match conte Fish, je n’aurais pas eu de regret parce que j’avais donné le meilleur que j’avais à donner.

Est-ce que vous avez encore en tête quelques images de ces journées exceptionnelles ?

Bien sûr. Toute la semaine. L’endroit où l’on vivait avec les autres gars de la délégation chilienne. La cérémonie d’ouverture, le moment de la victoire avec Fernando quand on s’est pris dans les bras et que l’on s’est écroulés sur le sol. Quand j’ai gagné le simple et que je suis allé vers mon coach et mes amis.

Et si je ne m’en souviens plus, je remets quelques vidéos et tout remonte à la surface, que ce soit sur You Tube ou sur Internet. Ce n’est pas possible d’oublier ce type de moments. Où que j’arrive, après toutes ces années, il y a toujours quelqu’un qui me connaît à cause de ça. C’est normal. Nicolas Massu, le champion olympique de tennis. L’ensemble de ma carrière passe au deuxième plan. C’est normal. Quand je suis au pays et que je vois des parents avec leurs enfants, ils disent : "Tu sais qui est ce gars ? Eh bien, il a gagné deux médailles d’or aux Jeux Olympiques." C’est normal. Mes dix-sept ans de carrière se résument à cette semaine et c’est tout à fait logique. Je prends ça avec le sourire. J’ai joué pendant longtemps, j’ai gagné de très bons tournois, mais on ne se souvient que de ça.

J’ai fait passer un message aux plus jeunes. Si vous avez des rêves et que vous mettez tout en œuvre pour y parvenir, vous pouvez les réaliser. J’ai été un enfant moi aussi. J’ai commencé le tennis à cinq ans et je me suis battu pour mes rêves. J’ai fait partie des dix meilleurs joueurs du monde. Il faut travailler dur et croire en soi. Et c’est un message que j’ai transmis à mon pays.

Aujourd’hui, vous êtes devenu un coach respecté et vous travaillez avec Dominic Thiem, un joueur autrichien un peu éloigné de votre culture latine. Comment réussissez-vous l’alchimie ?

C’est vrai que nous sommes de cultures différentes, mais lorsque vous associez des personnes très différentes, le potentiel est énorme. Vous apprenez de l’autre et l’autre apprend de vous. C’est enrichissant. On a commencé à travailler et en quelques mois, les résultats ont été extraordinaires. Il a gagné le plus gros tournoi de sa vie à Indian Wells, sur dur, il a gagné à Barcelone, il est allé en finale à Roland-Garros. Pour le moment, on est content de travailler ensemble. J’espère qu’il va continuer dans cette voie parce qu’en dehors de son incroyable talent de joueur c’est une personne incroyable. Il a une famille attachante et une très bonne équipe autour de lui. Pour l’instant, nous avons une très bonne connexion. On comprend bien ce qu’il y a à travailler. Je suis prêt à me donner à 100 % pour permettre à Dominic de devenir le meilleur joueur possible. Je sais et il sait qu’il a la possibilité de devenir n°1 mondial.

(1) À l'ère moderne. Le tennis est revenu au programme olympique officiel en 1988. En 1896, 1900, 1904, 1908, 1912 et 1924, le même joueur remporta les titres simples et doubles: JP Boland, H. Doherty, B. Wright, AW Gore, C Winslow, A. Gobert et V. Richards.

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