Paris 2024 : Avocate en France, Sarah Hanffou défend les couleurs du Cameroun et le développement durable du tennis de table

Par Julie Trosic
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Sarah Hanffou of Cameroon, Group Stage - Match 1 at 2024 ITTF World Cups, at the Galaxy Arena, Macao, Macao China, April 15th to 21st 2024.
Photo de Rémy Gros

Sarah Hanffou participera à ses troisièmes et derniers Jeux Olympiques à Paris 2024, représentant le Cameroun en tennis de table en simple femmes à partir du samedi 27 juillet.

Cette qualification récompense le parcours exemplaire de cette femme qui jongle entre ses rôles d'athlète de haut niveau, d'avocate à temps plein à Toulon et de présidente de l'association Ping sans frontières (PSF).

C’est à se demander comment la licenciée au club de Quimper parvient à tout mener d’une main de maître.

Elle commence généralement ses journées par de la préparation physique, dès son réveil à 5h00 et enchaîne avec son travail avant d’aller à l’entraînement.

« J'ai des cheveux blancs et quelques problèmes de santé », confie en rigolant la pongiste de 37 ans, à Olympics.com. « Le corps commence à dire qu'il est temps de passer à autre chose », analyse-t-elle après avoir passé environ trois semaines par mois à l'étranger dernièrement.

Malgré ce rythme intense, elle parvient à gérer ses responsabilités à distance grâce à la digitalisation de son travail juridique et son statut libéral.

« Parfois, je pars même avec ma robe parce qu'en rentrant j'ai l'audience directement », explique-t-elle à propos de ses déplacements en compétition.

Même si ses dernières vacances datent d’avant Tokyo 2020, le temps-mort attendra.

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Après avoir parcouru le monde pendant 18 mois pour améliorer son classement mondial, Sarah Hanffou a obtenu son sésame lors du tournoi de qualification olympique pour la zone Afrique en mai 2024, au Rwanda.

Cet aboutissement lui a procuré « l'une des plus fortes émotions » de sa carrière.

« Assez bizarrement, même si j'ai eu des titres sur le continent [africain], je voulais vraiment terminer ma carrière à Paris », confie la native de Roubaix, d’une mère française et d’un père camerounais. « On parle souvent de ‘flow’ dans le sport, de moments un peu suspendus où on plane, c'était complètement ça ! »

Souvent blessée, celle qui pensait déjà arrêter après Tokyo 2020 ne voulait pas avoir de regrets. Elle a eu raison puisqu’elle participera à sa dernière compétition internationale dans la Ville Lumière.

Ces JO à la maison, « et pas qu'un petit peu », auront une saveur particulière pour Sarah Hanffou.

« La cérémonie d'ouverture, c'est souvent la veille du premier match de compétition, donc […] on est un peu stressé parce qu'on se dit qu'on va être fatigués, qu'on ne va pas trop dormir. Là, je vais y aller, c'est une certitude et je vais savourer ! »

Le verdict est tombé lors du tirage au sort : après sa victoire contre la pongiste du Guyana Chelsea Edghill au tour préliminaire, sa partie adverse en 32es de finale sera la tête de série numéro 7 Cheng I-Ching, de Chinese Taipei. Leur confrontation est prévue ce dimanche 28 juillet à 13h00 à l'Arena Paris Sud.

Cette dernière continuera à pratiquer son sport après Paris 2024, « mais plus de haut niveau, plus de compétition, plus de pression, plus de voyage, ni de décalage horaire », dit-elle avec le sourire.

Consciente de l’empreinte carbone « catastrophique » des sportifs internationaux, Sarah Hanffou considère que tous les voyages en avion de son année pré-olympique sont « irrattrapables ». Un choix qu’elle veut assumer, car c'est l'objectif d'une vie.

« Mon approche, c'est que je fais partie du problème et ça me dérange vraiment », admet-elle.

Fidèle à la balance de la justice, la pongiste avocate pèse ses maux pour résoudre ce dilemme écologique. Sans voiture en France, elle prend les transports en commun pour compenser modestement ses voyages en avion qu’elle regroupe dans un souci de cohérence.

Après sa retraite sportive, Sarah Hanffou restera d’attaque pour servir ces « vrais sujets ».

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Le déclic avant Ping sans frontières : un filet troué qui « laissait passer la balle » sur une table en bord de route

En 2006, Sarah Hanffou a fondé PSF, qui utilise le tennis de table comme outil de développement et d'inclusion sociale dans des régions défavorisées.

L'idée est née d'un déclic lors des Jeux de la Francophonie 2005 au Niger, à l’époque où elle évoluait en équipe de France : une table de ping-pong en bord de route avec un filet troué qui « laissait passer la balle ».

Voilà ce qu’elle s’est dit : « Je suis aussi Africaine, c'est une partie de mon identité et j'ai quand même une responsabilité, car je suis assez privilégiée d'avoir grandi en France, de pouvoir vivre pleinement de ma passion, voyager, aller au bout de mes rêves... »

La pongiste a alors rebondi en collectant les équipements sportifs usagés à l'INSEP, puis auprès des clubs pour les redistribuer en Afrique.

Par le biais de PSF, elle a rencontré le président de la fédération nationale du Cameroun qui lui a proposé, en 2007, de jouer sous les couleurs du pays. « J'ai attendu trois ans et j'ai joué en 2010. »

Depuis, l’association a élargi son champ d'action : camps d’entraînement, formations, construction de tables de ping-pong et… fabrication de raquettes à partir de matériaux recyclés grâce à l’impression 3D !

« L'idée, c'est de faire un transfert de compétences autour de l'économie du ping. C'est une belle aventure humaine ! », explique sa fondatrice.

Parmi les ambassadeurs de PSF, les pongistes Omar Assar (Égypte) et Quadri Aruna (Nigéria) participeront aussi à Paris 2024, qui représente une vitrine unique selon Sarah Hanffou pour parler de ce projet associatif qui lui tient à cœur.

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Tako table sur les Jeux Olympiques de la Jeunesse de Dakar 2026 pour servir le développement durable

Parallèlement à ses multiples engagements, Sarah Hanffou a élaboré son projet entrepreneurial Tako dans le cadre de l'incubateur Impact 2024, lancé par l’Agence française de développement (AFD) et Paris 2024.

L’objectif ? Construire et vendre des tables de ping-pong fabriquées exclusivement en Afrique pour éviter l’importation depuis l’Europe ou l’Asie.

Devant des investisseurs potentiels à Paris, le pitch final de l’avocate-entrepreneure était un peu comme une plaidoirie pour défendre son projet social. Et elle a eu gain de cause.

Initialement lancé à Takoradi, au Ghana, Tako s'étend désormais à la Côte d’Ivoire et vise les JOJ de Dakar 2026.

« L'idée, c'est que le Sénégal soit en capacité dans certaines régions de fabriquer ses propres tables pour diffuser le ping-pong un peu partout dans les écoles », explique Sarah Hanffou en mentionnant Ziguinchor, où les gens ne connaissaient même pas ce sport.

Sensible à la question de l'impact environnemental et sociétal, elle a déjà un coup d’avance en préparant l'héritage des JOJ, avec d'abord Paris 2024 en ligne de mire.

« C'est quelque chose que je vais suivre en tant qu'athlète, mais surtout en tant que citoyenne. »