Jessica Diggins, championne à PyongChang, inspire son sport à discuter du problème de la dysmorphophobie
L'athlète Jessica Diggins enchaîne les succès depuis sa victoire en tandem avec Kikkan Randall à l'épreuve de sprint par équipes en ski de fond à PyeongChang 2018. La paire a marqué l'histoire en remportant la première médaille d'or olympique des États-Unis dans cette épreuve de ski de fond. Pourtant, c'est de ses avancées personnelles qu'elle est la plus fière...
Depuis sa victoire inattendue contre les grandes puissances européennes du ski de fond à l'épreuve de sprint féminin par équipes, l'Américaine Jessica Diggins a remporté la Coupe du monde et plus d'une douzaine de podiums. De plus, elle jouit d'une place quasi permanente dans le top cinq du classement par saison. En somme, ces deux dernières années ont affermi sa place au sommet de son sport.
Pourtant, au-delà de ces performances, elle estime avoir accompli quelque chose de bien plus important :
"Après les Jeux Olympiques, j'ai décidé de profiter de ma position pour essayer de faire avancer les choses. Je ne voulais plus garder mon histoire pour moi ; pas si la partager pouvait aider ne serait-ce qu'une seule personne", confie Jessica Diggins à propos de sa décision de révéler au monde entier qu'elle avait souffert de troubles du comportement alimentaire dévastateurs à la fin de son adolescence.
"Assez étrangement, cette envie a été provoquée par Body Issue, [le magazine] d'ESPN, quand ils m'ont demandé si je souhaitais y participer. J'ai beaucoup réfléchi, j'en ai parlé avec mon petit-ami et mes parents qui m'ont dit : "Fais-le si tu le sens, mais est-ce que ça ne va pas faire ressurgir tes vieux démons ?" En y réfléchissant un peu plus, je me suis pourtant rendu compte que j'étais vraiment en accord avec mon corps et mon apparence physique. Le fait que des gens voient mon corps comme il l'est réellement ne me dérangeait pas. J'ai compris que le seul regard qui comptait était le mien, pas celui des autres, et que mon regard était aujourd'hui bienveillant.
J'ai donc décidé de participer au projet en guise de célébration du chemin que j'avais parcouru depuis l'époque où je souffrais de ces troubles. Puis je me suis dit qu'il n'y avait pas meilleur moment pour raconter mon histoire."
Jessica Diggins a écrit un long post émouvant pour accompagner la sortie du magazine. Malgré ses craintes, la réaction s'est révélée extrêmement positive :
"Tout juste 30 heures après la publication de mon article, j'avais reçu des centaines de messages de personnes me disant "Wouah, moi aussi", raconte l'athlète avec émotion. Des entraîneurs m'ont dit : "Grâce à vous, je réalise à quel point c'est un problème important", et des parents m'ont dit : "J'ai lu votre post avec mes deux adolescentes et nous avons eu une conversation très ouverte à ce sujet".
J'ai ce souvenir d'être assise dans ma chambre, le visage ruisselant de larmes, mais des larmes de joie. Et je me suis dit alors que j'avais peut-être trouvé un vrai moyen d'aider les autres grâce au sport, et grâce à ce qui avait pourtant été la période la plus difficile de ma vie."
Une fois la réaction du public passée, Jessica Diggins s'est rendu compte qu'elle allait devoir faire face à la réaction de ses pairs sur le circuit de la Coupe du monde. Une perspective qui la terrifiait tout autant :
"Je me demandais si on allait me juger, si on allait parler de moi derrière mon dos. Je ne devrais pas dire que j'ai été surprise, mais ça a été vraiment formidable de recevoir une réaction aussi positive. Personne, sur les réseaux sociaux ou directement, ne m'a dit quoi que ce soit de négatif à ce propos.
C'est génial d'entendre ces athlètes du monde entier dire : 'Tout le monde rencontre ce problème à un moment ou à un autre, à des degrés différents. Et pour certains, cela peut être une question de vie ou de mort'."
Depuis le début de la dernière saison, la championne olympique porte un bandeau à l'effigie de "The Emily Programme", une association caritative qui l'a aidée à sauver sa propre vie. L'athlète s'est engagée à ne pas laisser ce sujet retomber dans l'oubli :
"Je souhaite vraiment éduquer les gens sur cette question et engager la conversation. Les entraîneurs ont souvent peur d'aborder le sujet et nous devons nous assurer que les athlètes arrivent à parler de potentiels problèmes avec la personne dont ils sont les plus proches.
Un entraîneur, un enseignant ou un parent dispose de nombreuses occasions d'instaurer un climat de bienveillance et d'acceptation du corps en disant par exemple que 'la nourriture est le carburant du corps' et que "les corps puissants sont des corps en bonne santé, et donc de beaux corps'."
Ces mantras sont en parfaite adéquation avec un sport qui, selon Jessica Diggins, met en avant tous les types de corps, avec des athlètes de formes et de tailles différentes. La jeune femme de 28 ans, originaire du Minnesota, est également ravie de l'absence de vraie barrière d'âge en ski de fond. En effet, il est très rare que les athlètes de ski de fond atteignent le meilleur de leurs performances avant la trentaine.
Tout cela va de pair avec l'ambition de la skieuse de devenir une véritable athlète polyvalente.
"L'un de mes plus grands objectifs de carrière, c'est de réussir à me présenter à la ligne de départ d'une course en me disant 'je suis capable de gagner' et d'y arriver parce que j'y crois dur comme fer", confie-t-elle.
Elle est clairement sur la bonne voie. Il n'existe qu'une seule formule de course de Coupe du monde pour laquelle elle n'a pas encore décroché de podium : le 30 km classique. Cette épreuve est considérée comme l'épreuve la plus éminente du ski de fond olympique et Jessica Diggins a l'intention de travailler dur pour avoir ses chances de remporter une médaille aux Jeux Olympiques de Beijing 2022.
Au top de sa forme depuis sa victoire aux côtés de Kikkan Randall à PyeongChang, première médaille d'or olympique de ski de fond pour les États-Unis, il est indiscutable que Jessica Diggins a tous les atouts pour marquer une nouvelle fois l'histoire.
Cependant, depuis les Jeux en République de Corée, le chemin de la réussite a parfois été jonché d'obstacles :
"Pour moi, c'était presque plus difficile après la médaille d'or [qu'avant]. J'avais l'impression que tous les regards étaient braqués sur moi et que l'on s'attendait à ce que je continue de gagner, sans jamais faire d'erreur, à jamais. Il m'a fallu environ un an d'adaptation pour apprendre que je pouvais rester moi-même et que ça suffisait sans que j'aie rien d'autre à faire.
J'ai dû trouver un certain équilibre. Je me suis fait aider de mon psychologue du sport, de ma famille et de mes entraîneurs qui avaient à cœur 'que Jessie, la personne et non l'athlète, aille bien'. Pour eux, c'était de Jessie dont ils se souciaient avant tout.
J'ai énormément de chance d'avoir eu autant de soutien et de personnes qui se souciaient de moi pour qui j'étais, et pas pour mes exploits sur la piste".
Jessica Diggins joue à présent ce même rôle pour toute une génération de jeunes femmes.