Ariane Fortin : la championne du monde canadienne emmène la boxe féminine coréenne à ses premiers Jeux Olympiques

Tokyo 2020 a parlé en exclusivité avec la double championne du monde et olympienne de Rio 2016 qui entraîne l'équipe féminine de boxe coréenne alors qu'elle se prépare pour ses premiers Jeux Olympiques.

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Fortin

Ariane Fortin n'est pas étrangère à la boxe de haut niveau. En tant que double championne du monde (2006 et 2008) et participante aux Jeux Olympiques de Rio 2016, l'ancienne sportive canadienne a combattu et battu les meilleures.

Elle endosse maintenant un nouveau rôle en tant que première entraîneuse et première étrangère de l'équipe nationale de boxe coréenne. Et cette boxeuse devenue entraîneuse mettra sa sagesse et son expérience au service d'une équipe féminine qui n'a encore jamais participé à des Jeux Olympiques.

En effet, il faut remonter 33 ans en arrière pour voir une équipe coréenne (femmes ou hommes) goûter à la victoire olympique en boxe. À Séoul 1988, l’équipe masculine a remporté deux médailles d’or (Kim Kwang-sun en poids mouches et Park Si-hun en poids moyens) mais depuis, aucun boxeur coréen n'est monté sur la plus haute marche d'un podium olympique. La dernière fois que l'équipe masculine a remporté une médaille, c'était à Londres 2012 avec Han Soon-chul qui a remporté l'argent après avoir perdu en finale contre l'une des plus grandes stars de la boxe actuelle, l'Ukrainien Vasyl Lomachenko.

Mais avec Tokyo 2020 à l'horizon, les perspectives de l'équipe féminine s'annoncent nettement plus positives, avec deux boxeuses déjà qualifiées pour les Jeux : Oh Yeon-ji et Ice Ae-ji. Et comme la possibilité de briller sur la plus grande scène sportive du monde est désormais une réalité, l'équipe nationale a recruté la très expérimentée Ariane Fortin pour la guider dans son parcours olympique.

Dans une interview exclusive avec Tokyo 2020, Fortin est revenue sur la raison pour laquelle elle a rejoint l'équipe nationale coréenne, de son expérience d’entraîneuse, des athlètes et des leçons qu'elle a tirées d'une carrière passionnante au plus haut niveau de la boxe.

Tokyo 2020 : Qu’est ce qui vous a décidé à rejoindre l’équipe nationale de Corée ?

Fortin : En fait, l’année dernière je travaillais avec l’équipe nationale du Canada et nous avons été invitées par la Corée à participer à un stage national d’entrainement commun.

Ils sont habitués à inviter des étrangers lors de leurs stages d'entraînement, c'est pourquoi nous avons été invitées et j'y suis allée pendant deux semaines en février dernier, juste avant la pandémie.

Et là-bas, Mr. Choi, le directeur de la fédération, m'a offert un emploi et honnêtement, j'étais vraiment enthousiaste. J'aime découvrir des nouvelles cultures, mais c'est aussi un très grand défi. En seulement deux semaines, je me suis vraiment sentie à l'aise immédiatement là-bas. Et ce n'est pas le cas de tous les pays et de toutes les expériences de boxe, mais je me suis vraiment sentie à l'aise avec eux.

C'est surtout en tant que femme que j'avais des appréhensions. Peut-être qu'il n'y a pas beaucoup de femmes entraîneuses. Et je me disais : "Ok, je commence ma carrière internationale d’entraîneuse." Bien sûr, chez moi, je suis plus connue, mais comment cela va-t-il se passer au niveau international ? Et j'ai été traitée avec beaucoup de respect par les entraîneurs coréens. Donc, tout cela ensemble a rendu la décision vraiment facile.

Quelles ont été vos premières impressions de la boxe coréenne, après avoir rejoint l’équipe ?

J'avais déjà regardé leur match de qualification parce que je savais que j'allais venir ici, ce n'était qu'une question de temps avec la pandémie de COVID.

Je dirais qu'il y a beaucoup de similitudes entre le style asiatique et le style américain. Mais dans le style coréen, ils sont très bons et très légers sur leurs appuis. Ils sont vraiment bons pour mesurer la distance. C'est tellement frustrant de boxer contre des Coréens pour un Américain parce qu'ils jouent beaucoup avec leurs mains. Vous pensez que vous les tenez enfin mais en fait, ils sont déjà loin. Donc ils sont vraiment bons pour gérer la distance. Je pense que c'est l'une des forces de leur style de boxe.

Y a-t-il une grande différence entre la République de Corée et le Canada en termes d'entrainement ?

Ils sont plus axés sur le long terme et je dirais que nous [les boxeurs canadiens] sommes plus individualistes et eux [les boxeurs coréens] sont plus collectifs. Vous pouvez le sentir à l'entraînement par des petites choses qu'ils font au quotidien. Nous commençons ensemble et nous finissons ensemble, du début à la fin de l'échauffement. C'est donc un très bon esprit d'équipe. Bien sûr, nous avons cela au Canada d'une autre manière, mais c'est vraiment fort ici. Ils s'encouragent beaucoup les uns les autres pendant l'entraînement. Ces petites choses me montrent que l'atmosphère entre les sportifs est vraiment, vraiment bonne et c'est définitivement positif pour eux.

Deux boxeuses de la République de Corée se sont qualifiés pour Tokyo 2020. Vous n'êtes pas dans l'équipe depuis très longtemps, mais quelle force voyez-vous en elles ?

Youn-ji, c'est la plus mature, elle a 29 ou 30 ans, elle est très bonne en contre-attaque et très athlétique. Je pense que c'est la plus athlétique. C'est facile à voir à l'œil nu. Elle est très intelligente, elle gère très bien son énergie sur le ring tout au long de la compétition, ce qui est un énorme, énorme atout. Et généralement, seuls les sportifs matures peuvent le faire. Les styles asiatiques typiques ne sont pas les plus puissants si je les compare aux styles de boxe américains, mais ils sont définitivement très bons avec leur distance. Donc, je dirais que la force de Youn-ji est qu'elle est une boxeuse très, très intelligente et un très bonne contre.

Ae-ji, elle est si jeune, elle a vingt ans et elle est encore en pleine transition. Je veux dire, elle est déjà qualifiée, donc elle se débrouille très bien au niveau senior, mais je la considère comme étant encore en transition du niveau jeune au niveau senior.

Elle a vraiment un très gros potentiel. Elle est gauchère, comme je l'étais et je compte bien partager avec elle tous mes trucs.

Toutes les deux ont un très grand sens du travail, donc je suis très heureuse d'être ici. À cause de la pandémie, je ne savais pas quel genre d'installations elles allaient avoir pour s'entraîner et je m'inquiétais qu'elles ne soient pas prêtes physiquement. Mais elles sont toutes les deux arrivées au stage il y a trois semaines dans une forme vraiment décente. Cela me dit qu'elles ont une très bonne éthique de travail et qu'elles sont toutes les deux très fortes mentalement et globalement des très bonnes personnes, ouvertes à l'apprentissage, curieuses. Ce sont les qualités que vous recherchez en tant que sportif. Je me sens donc très chanceuse de travailler avec elles.

Avez-vous des noms de boxeuses que les coréennes devraient surveiller à Tokyo 2020 ?

Je ne veux pas trop me concentrer la dessus. Je préfère me dire que, lorsque je réfléchis à des points d’améliorations pour elles, je les considère comme des adversaires. Et si je boxe contre cette fille, quelle est sa plus grande ouverture ? Quels sont ses défauts ? C'est comme ça que je vois les choses.

La boxe féminine olympique est encore relativement jeune et vous en êtes une pionnière. Quels conseils donneriez-vous à celles qui veulent suivre vos traces ?

La boxe m’a fait vivre des moments très durs et très tristes, mais je ne changerai cela pour rien au monde parce que j’en suis sortie plus forte. Ça sonne comme un cliché « ça rend plus fort » mais c’est vraiment le cas.

Si, pendant les moments difficiles où je n’étais pas satisfaite de mes résultats, on m’avait dit : "Ne t’inquiète pas, sur le long terme, tu seras plus forte", je l’aurai vraiment mal pris. Mais en fait c’est vrai. Quand vous prenez du recul, vous le réalisez et le comprenez.

Et toutes ces belles qualités que vous apprenez à travers le sport comme la résilience, l’optimisme, ce sont des choses qu’on garde pour après. Je me considère très chanceuse d’avoir cette passion.

Donc c’est ce que j’aimerais dire aux jeunes : N’ayez pas peur. Ça fait très cliché mais c’est tellement vrai. Je suis tellement convaincue que si vous avez une passion et que vous êtes prêt à travailler dur pour elle, vous ne pouvez que réussir. Vous êtes capable de tellement de choses. Et si vous n’accomplissez pas le résultat très très spécifique que vous espériez, comme une médaille d’or, au final, tout le trajet que vous avez accompli pour y parvenir en vaut la peine.

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