Anette Norberg, une skip en or en avance sur son temps
Aux Jeux Olympiques d’hiver de Vancouver 2010, Anette Norberg écrit une page de l’histoire du curling en devenant la première, et jusqu’ici l’unique, skip à défendre avec succès un titre olympique. La légende suédoise sur le courage et la résilience résonne encore dix ans plus tard.
Aujourd’hui, Anette Norberg est considérée sans doute comme la plus grande skip de l’histoire du curling, après avoir décroché deux titres olympiques et trois médailles d’or aux Championnats du monde au cours d’une carrière impressionnante qui s’étale sur plus de trois décennies. Mais peu de gens savent que c’est en fait grâce à un échec qu’elle est devenue ensuite une championne.
Pendant l’épreuve féminine de curling aux Jeux Olympiques d’hiver de Salt Lake City 2002, Norberg et ses coéquipières regardent sans grand enthousiasme la compétition à la télévision depuis chez elles en Suède. En dépit de leur victoire aux Championnats d’Europe deux mois plus tôt, elles ne sont pas qualifiées, un revers que Norberg décrit à présent comme un mal pour un bien.
“Sur le moment, c’était très décevant, mais aujourd’hui je pense que je n’aurais pas ces deux médailles d’or sans cet échec”, dit-elle en expliquant en quoi cette expérience lui a donné le temps de planifier la suite et de revoir complètement la stratégie d’entraînement de son équipe, une mesure qui allait révolutionner le curling féminin.
“Pour la première fois, nous pouvions voir beaucoup de curling à la télévision. Nous nous sommes rendu compte que pendant que les hommes cherchaient à pousser leurs adversaires à la faute, les femmes avaient tendance presque à attendre l’erreur de l’équipe adverse. Alors cet été-là, nous avons décidé de jouer davantage comme les hommes, en prenant beaucoup plus de risques. Ainsi, nous avons ajouté l’haltérophilie à notre entraînement, pour être plus fortes et plus physiques. Nous étions une des premières équipes à le faire. Cela demandait beaucoup de courage, mais ça nous a permis de balayer plus énergiquement, et d’être plus précises, ce qui est une manière de gérer les risques plus élevés.”
Pour Norberg et son équipe, c’est beaucoup plus amusant de jouer ainsi, et les effets sont presque immédiats. Elles décrochent une première médaille d’or aux Championnats du monde en 2005 et sont les grandes favorites pour les Jeux Olympiques d’hiver de Turin 2006.
“Ce qui nous a mises le plus en confiance, c’était de savoir que nous étions plus fortes ; nous savions que nous avions réalisé un entraînement comme aucune autre équipe”, dit-elle. “Et l’autre grande différence que nous avons faite après 2002, c’était que nous travaillions davantage l’esprit d’équipe. Nous nous connaissions bien, nous nous faisions confiance, et je savais que, quoi qu’il arrive, nous nous soutiendrions. Individuellement, je ne crois pas que nous étions les quatre meilleures joueuses à ces Jeux Olympiques, mais en tant qu’équipe, nous étions incroyables cette saison.”
Au Pinerolo Palaghiaccio, elles se montrent pleinement à la hauteur de leur réputation et remportent sept des neuf matches de poule avant une victoire difficilement arrachée en demi-finale sur la Norvège pour se retrouver en finale face à l’équipe suisse très expérimentée.
L’équipe de Norberg mène 5-2 et 6-4 avant que la Suisse ne remonte pour jouer une manche supplémentaire. Finalement, Norberg réalise une difficile double sortie avec sa dernière pierre pour décrocher l’or. “C’est un moment pour lequel je ne crois pas que vous puissiez vous préparer”, dit-elle. “Je savais que mes coéquipières étaient juste derrière moi. Elles étaient sûres que j’allais y arriver. Si vous regardez la pierre, elle visait toujours la cible, du début à la fin.”
Après plus de deux décennies de compétitions au niveau international, Norberg est finalement sacrée championne olympique. Aussi surprenant que cela puisse paraître, elle est de retour au bureau le lundi qui suit, à son poste de spécialiste de l’analyse des risques en assurance. “J’ai pris le métro pour me rendre au travail et des gens me demandaient : "Vous n’êtes pas cette curleuse ?"”, se souvient-elle. “Ma fille n’avait que neuf ans à l’époque et ça ne lui plaisait pas du tout car des gens m’arrêtaient au centre commercial. Elle leur disait : "Allez-vous-en, c’est ma maman."”
Après de nombreuses années difficiles à trouver des sponsors, cette vague d’attention autour des nouvelles championnes olympiques facilite la décision prise par Norberg de continuer jusqu’aux Jeux de Vancouver 2010.
Mais les quatre années qui suivent sont loin d’être faciles en raison de la vie privée de plus en plus agitée de Norberg. L’équipe suédoise arrive au Canada avec plusieurs doutes quant à sa capacité à réaliser une performance. “Il s’était passé beaucoup de choses depuis”, dit-elle. “Deux de mes coéquipières ont eu des enfants. La fille d’Anna (Svard) n’avait que six ou sept mois au moment des Jeux de Vancouver, et ça c’est un défi. Pour ma part, je faisais face à un divorce difficile, et pour finir, nous avions fait des Championnats d’Europe très médiocres juste deux ou trois mois avant les Jeux.”
Norberg envisage même de se retirer de la compétition, notamment lorsque sa fille refuse de l’accompagner aux Jeux pour rester en Suède avec son père. “Quelques semaines avant le départ, j’ai dit au Comité Olympique Suédois : "Je ne vais pas y arriver, je ne suis pas assez forte pour relever le défi." Mais ils m’ont aidée, nous avons beaucoup parlé et nous avons décidé : "OK, tu vas mettre tout ça dans une boîte que tu fermes à clé et tu la rouvriras quand tu reviendras de Vancouver.’”
Entre deux matches, Norberg est si épuisée sur le plan émotionnel qu’elle ne quitte pratiquement pas son lit, mais la Suède réussit tant bien que mal à se qualifier à la deuxième place pour les éliminatoires après le match de poule derrière l’équipe canadienne archi favorite menée par Cheryl Bernard.
Grâce à une victoire confortable 9-4 en demi-finale face à la Chine, la Suède progresse une fois de plus jusqu’au match pour la médaille d’or, intensifiant le suspense jusqu’à la fin avec le Canada devant une foule passionnée et bruyante au Centre olympique de Vancouver.
C’était justement la perspective de concourir face aux Canadiennes, devant leur public, qui avait encouragé l’équipe de Norberg à viser les Jeux de Vancouver, et c’est sous la pression extrême que la Suède fait preuve, une fois encore, de plus de résilience. Une manche supplémentaire doit être jouée et Bernard rate sa dernière pierre, donnant à Norberg sa deuxième médaille d’or, et une part de l’histoire olympique.
“Je crois que c’est plus facile lorsque vous avez déjà une médaille d’or olympique”, dit-elle. “Mais à Turin, nous avions gagné parce que j’avais mis la dernière pierre, tandis qu’à Vancouver, nous avons gagné parce que l’équipe adverse a raté la sienne. Et quelque part au fond de moi, ce n’est pas si facile d’être heureuse de l’échec de l’adversaire, surtout devant son public. C’était dur pour elles. Alors, cela vous désole un peu aussi.”
Trois ans plus tard, ayant réalisé tout ce dont elle rêvait, Norberg arrête la compétition pour de bon. Après tout, lorsqu’elle a constitué sa première équipe en 1982, la perspective de concourir simplement aux Jeux Olympiques d’hiver était déjà quelque chose de fantastique.
“J’ai rencontré une de mes anciennes camarades de classe qui m’a rappelé que j’avais dit un jour à toute la classe que je serais championne olympique”, raconte Norberg. “Elle s’en est souvenue parce qu’à l’époque, tout le monde pensait que c’était une idée vraiment folle, surtout que le curling n’était même pas encore un sport olympique.”