Les pictogrammes olympiques, une longue et passionnante histoire
Markus Osterwalder est le secrétaire général de l'Association internationale des historiens olympiques, spécialisé dans le graphisme et le design général de chaque édition des Jeux. Avec lui, nous faisons le tour de l'histoire des pictogrammes sportifs qui, nous l'apprend-il, ne sont pas nés à Tokyo en 1964, mais en fait, bien plus tôt !
"J'ai commencé à m'intéresser au graphisme olympique, et les pictogrammes en font partie, au début des années 1990, quand j'ai commencé mes études dans une école d'arts graphiques suisse", raconte Markus Osterwalder. "Je devais préparer mon mémoire final, et j'ai décidé de m'intéresser au design olympique. Je suis allé à la bibliothèque olympique à Lausanne et là, j'ai vu le jour même de mon arrivée le livre consacré au design des Jeux de Lillehammer 1994. Cela m'a inspiré et a totalement changé ma vie, en ce sens que cela raconte une fantastique histoire sur ce que le design graphique peut être. Pas seulement d'un point de vue fonctionnel, mais beaucoup plus parce que c'est une partie de l'héritage du pays représentant une nation, une vision, une philosophie. À partir de là, j'ai vraiment commencé à enquêter, à faire de nombreuses recherches et j'ai continué jusqu'à aujourd'hui."
On s'accorde à dire que les pictogrammes des Jeux sont vraiment nés en 1964 à Tokyo, mais Markus Osterwalder précise : "Réaliser des symboles qui ne sont pas des lettres mais des illustrations graphiques que tout le monde peut comprendre remonte à bien plus loin. J'ai trouvé des petits pictogrammes présents aux Jeux de Stockholm en 1912, à ceux Paris en 1924, et à d'autres Jeux ensuite, mais ils n'offraient pas encore cette vue très simple, très claire que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agissait d'illustrations compliquées, mais ce n'étaient pas des éléments verbaux décrivant des sports, des compétitions d'art et bien d'autres choses encore. Par exemple pour les épreuves d'art à Paris en 1924, il y avait un symbole, une illustration qui peut être considérée comme un pictogramme."
Toutefois, l'équipe de designers à l'œuvre pour les Jeux d'été à Tokyo en 1964 a beaucoup fait pour définir ce que nous connaissons aujourd'hui. "Ils ont réduit les formes et les tailles au minimum nécessaire pour comprendre le message. Les Japonais étaient confrontés au problème du langage. Personne ne parle japonais en dehors du Japon. Il était impératif de trouver quelque chose qui marcherait pour tous les citoyens des autres pays. Un système non verbal."
"Par exemple, l'emblème de ces Jeux (un rond rouge qui surmonte les anneaux olympiques et la graphie "Tokyo 1964") est très simple, mais on ne peut pas en retirer le moindre élément, sinon ça ne fonctionne plus. Ils ont inventé un nouveau langage très simple, et une ligne graphique totalement nouvelle. Ils ont utilisé pour la première fois la photographie sportive et une unité typographique en tant qu'élément graphique. Ça n'était pas arrivé avant. Le comité d'organisation des Jeux de Tokyo 1964 avait de brillants designers. Ils savaient ce qu'ils voulaient faire et ils ont fait un travail fantastique. C'est notamment à Tokyo qu'a été inventé le pictogramme représentant les toilettes messieurs et dames."
Un cap important à Lillehammer en 1994
Markus Osterwalder indique qu'il n'y a pas eu d'évolution majeure dans les années 1960, 1970 et 1980. "Ils [les pictogrammes] se ressemblaient, il y avait quelques différences dans le style, parfois certains étaient plus compréhensibles que d'autres, mais c'était la même philosophie."
L'évolution la plus importante date des années 1990. Albertville et Barcelone, pour les Jeux d'hiver et d'été de 1992, ont inventé leurs propres pictogrammes en utilisant la technique du trait de pinceau (brush painting). Les pictogrammes sont alors devenus partie intégrante du design général, comme par exemple avec le personnage Cobi, décliné dans tous les sports.
"Un nouveau changement – important – s'est produit à l'occasion des Jeux de Lillehammer en 1994 où pour la première fois, les pictogrammes ont raconté une histoire. Ils étaient basés sur cette fameuse gravure découverte dans une grotte, datant de 4 000 ans (représentant un homme sur des skis). Pour la première fois, l'héritage d'un pays était intégré dans le concept graphique, quelque chose qui appartenait à la Norvège, en rapport avec l'hiver et les sports d'hiver. C'est là que les pictogrammes ont commencé à raconter une histoire," explique Markus Osterwalder.
"À Sydney en 2000 également, tous les pictogrammes étaient basés sur le boomerang, proposant des figures totalement nouvelles pour représenter les sports. À Athènes en 2004, les Grecs ont également puisé dans leur héritage en rappelant les Jeux antiques avec un graphisme moderne. Des pictogrammes qui reflétaient vraiment l'héritage du pays. C'est aujourd'hui devenu une démarche commune. Parfois cela s'accorde parfaitement avec le design global des Jeux, parfois cela paraît un peu étrange. À Turin en 2006 et à Vancouver en 2010, les organisateurs ont utilisé un design tridimensionnel, avec différentes couches. Ceux de Sotchi 2014 se sont inspirés des pictogrammes des Jeux de Moscou 1980. À Rio en 2016, les pictogrammes s'accordaient parfaitement avec l'image générale des Jeux, mais sans réelle histoire à raconter."
Pour l'historien suisse du design olympique, "le premier usage des pictogrammes, c'est de transmettre un message aux gens, sans qu'ils aient à lire quoi que ce soit. Pour aller au Parc olympique, aux différents sites et pour dire, OK, voilà la salle de presse, voici tel ou tel site sportif, etc. Tous ces pictogrammes pour la signalisation et pour les sports sont les guides des Jeux. Sans eux, imaginez le nombre de langues qu'il faudrait utiliser pour que tout le monde comprenne. Cela rend les choses beaucoup plus simples !"
Bien évidemment, "c'est encore mieux si de surcroît, ils vous donnent un aperçu de la saveur des Jeux, de leur héritage, de leur image et ainsi de suite, et si vous pouvez les utiliser pour le merchandising. À Lillehammer par exemple, les Norvégiens ont produit des milliers de t-shirts et d'objets avec leurs pictogrammes et les gens les ont adorés. Si les pictogrammes ne sont pas réussis, vous ne vendrez rien ! Dans ce cas, ce sont peut-être des symboles qui permettent aux gens de comprendre qu'il s'agit de basketball ou de voile, mais cela ne va pas plus loin. D'ailleurs, les pictogrammes des années 1960 à 1980 n'étaient qu'informatifs, rien de plus. Et puis cela a changé. C'est devenu une partie de l'héritage, de l'image des Jeux et du programme commercial."