La méditation et un alter ego, la formule magique de Maame Biney
Maame Biney a d'abord attiré l'attention des amateurs de sports de glace grâce à son incroyable parcours sur le circuit junior, puis celle du monde entier aux Jeux Olympiques d'hiver de PyeongChang 2018, comme première athlète féminine afro-américaine à se qualifier dans l'équipe olympique américaine en patinage de vitesse sur piste courte. À présent, elle espère faire la une des journaux grâce à ses (futures) médailles remportées aux Jeux de Beijing 2022 et compte sur la méditation, la pensée positive et un alter ego pour l'aider à y parvenir.
"Anna est très féroce et forte, elle ne se préoccupe de rien, révèle la patineuse américaine de vitesse, Maame Biney. Peu importe avec qui elle est sur la glace, ça lui est égal. Tout ce qu'elle veut, c'est être la plus rapide, la plus intelligente, et franchir la ligne d'arrivée en premier. Nous sommes totalement différentes. Je suis très timide et facilement gênée."
Maame Biney, 20 ans, ne parle pas ici d'une rivale impitoyable, mais d'elle. En effet, la patineuse de l'Utah possède un alter ego, Anna Digger, dont elle se sert pour surmonter le stress qui la paralyse avant une course. "Dans la vraie vie, je préfère me fondre dans le décor, je n'aime pas être sur le devant de la scène, confie-t-elle. Mais il faut se mettre en avant pour remporter des courses. Donc Anna m'aide beaucoup, elle prend les rênes quand il faut faire preuve d'ardeur. Me mettre dans sa peau m'aide à patiner plus vite. J'étais une montagne de stress tout au long de ma première saison sur le circuit de la Coupe du monde. J'étais si jeune et je me retrouvais aux côtés d'athlètes olympiques et de champions. J'ai dû trouver une solution pour mieux le vivre."
Le chemin parcouru par Maame Biney jusqu'à devenir la première femme afro-américaine à représenter les États-Unis en patinage de vitesse sur piste courte aux Jeux Olympiques d'hiver a, littéralement, été très long. En effet, la jeune femme a quitté le Ghana pour le Maryland à l'âge de cinq ans. "Elle ne savait même pas ce qu'était le patinage, plaisante son père, Kweku, lorsqu'on lui demande comment sa fille s'est lancée dans ce sport. Elle ne connaissait même pas ce mot. La seule chose froide au Ghana, c'est la bière."
Maame Biney se souvient très bien du moment où elle a découvert ce sport. "J'avais six ans, nous étions en voiture et j'ai vu un panneau qui disait : "Apprenez à patiner", raconte-t-elle. Il [son père] m'a demandé si je voulais essayer. Je ne savais même pas de quoi il s'agissait, mais j'y suis allée et j'ai adoré. Au début, je faisais du patinage artistique, mais mon entraîneur m'a dit que j'allais trop vite. Alors je me suis inscrite au patinage de vitesse. Je n'en avais jamais entendu parler non plus, mais je savais que j'avais cette rapidité en moi.
Je n'ai jamais vraiment pratiqué d'autres sports. J'ai fait de la gymnastique pendant une seule journée avant de retourner à la patinoire. J'adore le côté un peu fou du patinage sur piste courte. J'aime toujours autant la vitesse, mais j'essaye à présent de maîtriser aussi le côté artistique de cette discipline."
Elle a rapidement progressé de manière remarquable. Au niveau junior, l'Américaine battait régulièrement à plate couture ses concurrentes internationales au 500 m (la piste la plus courte du patinage de vitesse et l'épreuve la plus féroce) en les dominant tout au long de la course. Aux Championnats du monde juniors de Montréal 2019, elle a également battu le record du monde junior sur cette distance (sa préférée).
"Je me suis rendu compte que j'étais bonne lors de ma seconde année sur le circuit junior, à 15 ans, dévoile-t-elle. Avec l'équipe junior, nous sommes allés en Autriche et j'y ai remporté ma première médaille internationale. C'était un moment incroyable où j'ai compris que wow, j'adore gagner. Tout à coup, je me suis mise à rêver des Jeux Olympiques."
Cependant, de très bons athlètes évoluent sur le circuit senior, dont la triple championne du monde toutes catégories, la Sud-Coréenne Choi Min Jeong, et la championne du monde actuelle Suzanne Schulting des Pays-Bas, que Maame Biney ne peut plus semer aussi facilement. "C'était difficile comme transition, admet-elle. Il y a tellement de grandes athlètes et il fallait que je comprenne que je suis aussi bonne qu'elles et que j'apprenne à patiner plus intelligemment. Avec le temps, j'ai développé un nouveau mode de pensée qui ne se résume plus à un simple 'patine vite'.
Les Jeux Olympiques d'hiver de PyeongChang en 2018 ont joué un rôle crucial pour moi. C'était fou comme expérience : l'ambiance, l'environnement... J'étais ravie d'être en Corée, car c'est un lieu incontournable du patinage de vitesse dans le monde. Les Coréens adorent ce sport, le stade était plein à craquer. Tout le monde était sympa et la nourriture délicieuse. C'était vraiment une belle expérience. Cela m'a donné très envie d'y retourner et de me qualifier pour Beijing 2022."
Mais cette fois-ci, elle compte bien monter sur le podium et ne pas se contenter de participer. "Ces dernières années ont été de véritables montagnes russes. Je me suis illustrée dans certaines compétitions et pour d'autres, j'ai été assez déçue de moi-même, explique-t-elle. Mais j'ai appris à mieux me connaître, en tant que patineuse et en tant que personne. Je sais ce que je dois faire pour m'améliorer. Je suis pleine d'enthousiasme pour l'année et demie qui va précéder les Jeux. Mon principal objectif est de remporter une médaille à Beijing, de préférence une en or. C'est vraiment mon but. J'ai plus d'expérience aujourd'hui et je pense que j'ai toutes mes chances. Mais sur piste courte, rien n'est couru d'avance."
Maame Biney a beaucoup fait parler la presse à PyeongChang en raison de ses origines afro-américaines. "C'était à la fois une surprise et non, déclare-t-elle. Les sports d'hiver sont majoritairement pratiqués par des personnes blanches. Je fais du patinage de vitesse depuis toujours aux côtés de personnes qui ne sont pas noires, mais la communauté du patinage de vitesse est très soudée. Il n'y a pas de mauvaise ambiance, de mauvais karma, de 'elle est noire, elle n'a pas sa place ici'.
Je n'ai pas grandi en me sentant différente. Je n'y ai pas été confrontée au quotidien. Mais aux Jeux Olympiques, tout le monde voulait m'interviewer pour cette raison. C'était quand même cool malgré tout. J'étais contente de représenter la communauté noire dans un sport dominé par les Blancs et les Asiatiques. Je suis heureuse d'avoir eu cette chance."
Comme pour la plupart des sports, la saison de patinage de vitesse sur piste courte a été foudroyée par la pandémie de COVID-19. Les Championnats du monde 2019-2020 ont été annulés, comme la majeure partie du reste de la saison. "C'était compliqué de ne plus faire de courses, reconnaît Maame Biney. L'annulation de nos Championnats a été difficile à avaler, mais on pensait que ça irait pour le reste de la saison, sauf que ça n'a pas du tout été le cas.
Toutefois, personnellement, j'ai essayé de me focaliser sur le positif. Je ne peux pas m'évaluer et identifier ce que je dois améliorer sans les courses, mais j'utilise la méthode du renforcement positif. Il n'y a certes plus de compétitions, mais j'ai plusieurs mois pour gagner en force physique et me concentrer sur des aspects techniques. J'essaye de travailler ce que je peux et d'en faire un moment positif. J'ai aussi appris à méditer, ce qui m'aide à me concentrer mieux que jamais. J'en ai bien besoin."
En parallèle, elle étudie les systèmes d'information à l'Université de l'Utah, sans perdre de vue Beijing 2022. Même si les États-Unis n'ont pas l'habitude d'être les outsiders en sport, Maame Biney est ravie de représenter un pays un peu à la traîne en patinage sur piste courte, discipline dominée par la République de Corée, le Canada et les Pays-Bas.
"Ça me plaît, ça me sert de motivation, s'exclame-t-elle. C'est un très bon objectif en soi. Les États-Unis ne sont peut-être pas les plus forts en patinage, mais nous avons cette occasion de rattraper notre retard. La République de Corée est incroyable et au centre de l'attention, ce qui en fait une bonne cible à viser." Maame Biney compte bien, avec Anna, donner le meilleur d'elle-même les mois précédant Beijing.