L'ancien ailier Hameed Khalid revient sur l'âge d'or du hockey olympique au Pakistan
Le Pakistan a remporté un total de 10 médailles olympiques, dont huit en hockey grâce à des équipes masculines surpuissantes. Parmi elles, celle qui a remporté la dernière médaille d'or du pays à cette épreuve à Los Angeles en 1984 demeure la plus admirée. Hameed Khalid, ailier gauche et star de cette équipe, revient sur son extraordinaire parcours qui l'a vu évoluer des parties dans la rue au podium olympique.
Lorsque l'on pense au sport au Pakistan, la plupart d'entre nous pensent automatiquement au cricket. En effet, ce sport y est aujourd'hui religion et ses joueurs des superstars. Mais dans les années 60, 70 et 80, le hockey occupait une place indétrônable dans le cœur de ce pays asiatique.
"À l'époque, le hockey était bien plus populaire que le cricket, se souvient Hameed Khalid qui a brillé aux Jeux Olympiques de Los Angeles 1984 avec son équipe. Nous avions déjà gagné l'or en 1960 et 1968, ainsi que la Coupe du monde en 1971, 1978 et 1982. Le hockey occupait une place centrale dans les établissements scolaires : on y jouait tout le temps pendant notre pause d'une heure. On y jouait aussi dans la rue. Tous les enfants voulaient devenir joueur de hockey. Les hockeyeurs étaient perçus comme des héros, au même titre que les joueurs de basket-ball aux États-Unis. On écoutait le match à la radio et on rêvait d'être comme eux."
En août 1984, Hameed Khalid aidait le Pakistan à décrocher sa troisième médaille d'or dans le tournoi hommes. Il s'agit des trois uniques médailles d'or olympiques du pays à ce jour. Obtenir une place au sein de l'équipe fut très difficile tant la compétition était féroce. Mais l'ailier gauche était l'un des joueurs les plus déterminés et passionnés du pays lors des sélections.
"J'ai vraiment dû lutter pour réussir à devenir joueur, explique Hameed Khalid, aujourd'hui âgé de 59 ans. Je me souviens de la réponse de ma mère quand je lui ai demandé une crosse : 'Non, il n'y a aucun intérêt à faire ce sport.' Finalement, quand j'ai eu 14 ans, j'ai réussi à économiser assez d'argent pour me rendre à une heure de ma ville, Gujranwala, pour en acheter une. Je l'adorais et je jouais tout le temps.
Puis je suis allé voir le club local et je me suis assis sur la ligne de touche. Personne ne m'a demandé de jouer, mais j'ai fini par me lier d'amitié avec des joueurs et par avoir l'occasion de jouer. J'ai travaillé très dur sur mon jeu : trois heures le matin, trois heures le soir. Tous les jours.
Je m'entraînais aussi au sprint. Je courais huit ou neuf fois 100 m sur le sable. J'étais au top de ma forme. J'étais tellement fatigué qu'il m'arrivait parfois de ne pas savoir où j'étais, mais ça ne m'empêchait pas de me lever et de courir 100 m de plus. Je me répétais : 'je dois aller aux Jeux Olympiques, je dois m'entraîner.' Quand j'ai enfin été sélectionné pour les Jeux, j'étais tellement heureux que je n'ai pas dormi pendant deux jours d'affilée."
Le hockey et ses tactiques de jeu étaient assez différents à l'époque. Les hockeyeurs indiens et pakistanais étaient réputés pour leur style de jeu rusé et habile, accentué de dribbles et d'esquives, à une époque où ce sport n'était pas encore dominé par des athlètes puissants et ultra-sportifs. "Nous n'avions pas de vraies salles d'entraînement et je n'ai même pas eu de bonnes chaussures avant 1980, quand mon entraîneur m'en a donné une paire, révèle Hameed Khalid. J'étais tellement heureux quand il me l'a donnée que j'ai couru avec dans ma chambre pendant des heures.
C'était génial d'aller aux États-Unis. J'étais déjà parti en Europe pour jouer, mais jamais aux États-Unis. Le président du Pakistan avait organisé une réception dans sa résidence en notre honneur avant le départ. J'avais 22 ans et je venais de réaliser mon rêve de devenir athlète olympique.
Los Angeles était incroyable : nous sommes allés à la plage, à Hollywood et voir tous les sites célèbres. Mais le meilleur endroit était sans aucun doute le village olympique. Je m'en souviens encore très clairement. Nous étions allés courir dans le village et on ne croisait que des personnes habillées aux couleurs de leur pays, venues de toute la planète. Tout le monde était en T-shirt de sport et en short. Tout le monde était très sympa. J'aimerais que le monde entier soit comme le village olympique : pas de politique, pas d'injures, mais de la solidarité, une forme d'unité. Un monde où l'on se concentrerait uniquement sur ses propres points forts."
L'équipe pakistanaise était imbattable aux Jeux de Los Angeles 1984 et Hameed Khalid était quant à lui redoutable. "Nous étions une très bonne équipe, raconte-t-il. On jouait vraiment très bien ensemble. Nous avions Hassan Sardar en attaque qui marquait beaucoup de buts, un excellent capitaine et un très bon gardien assez jeune.
J'étais également satisfait de mon jeu. Nous avons battu l'Australie en demi-finale, une équipe qui nous avait donné énormément de fil à retordre par le passé. Après le match, leur entraîneur a dit qu'il n'avait pas fait jouer l'un de leurs meilleurs joueurs, David Bell, parce qu'il ne le croyait pas assez en forme pour m'arrêter. Alors il a donné ce rôle à un plus jeune. On a gagné 1-0. Mais le hockey est un sport d'équipe, nous avons tous très bien joué notre rôle."
La finale, contre l'Allemagne de l'Ouest, s'est jouée dans les prolongations et la forme physique des Pakistanais s'est avérée déterminante. "Le score était de 1-1, mais nous savions que nous allions gagner parce qu'il faisait incroyablement chaud et nous résistions bien mieux à la chaleur, explique Hameed Khalid. Nous étions en meilleure forme qu'eux physiquement, donc nous avons fini par marquer un but supplémentaire. Le match s'est fini sur le score de 2-1.
Je me souviens que l'on a beaucoup pleuré après. Très peu de hockeyeurs ont la chance de jouer en finale olympique et de remporter la médaille d'or. Je n'oublierai jamais la remise des médailles, avec notre hymne national et notre drapeau qui flottait derrière nous."
Il a immédiatement téléphoné à sa mère après. "Je lui ai dit : 'tu te souviens quand tu m'as dit de ne pas jouer au hockey ?' et nous avons ri tous les deux, se souvient-il. Tout le monde appelait mes parents et débarquait chez eux à 3 h du matin pour célébrer cette victoire."
Sa vie n'a plus jamais été la même. À leur retour en Asie, les joueurs de l'équipe ont reçu des terres à Islamabad, des médailles présidentielles et des promotions en guise de récompenses (Hameed Khalid travaillait pour la compagnie aérienne nationale). Ils ont défilé dans les rues, tels des héros. "Nous avons mis trois heures pour parcourir 9 km tellement il y avait de monde, raconte le hockeyeur. On me reconnaît encore tout le temps dans la rue aujourd'hui."
Hameed Khalid travaille encore pour la même compagnie aérienne et a été entraîneur de l'équipe nationale de hockey. Il en est aujourd'hui le sélectionneur. Malheureusement, il craint que le hockey ne connaisse plus jamais d'âge d'or au Pakistan. La raison ? Le cricket.
"Le cricket s'est vraiment professionnalisé au Pakistan ; comme le hockey ne l'a jamais fait, explique-t-il. Tout le monde regarde les matchs à la télévision, c'est très glamour. Les joueurs sont incroyablement célèbres. Ce sport génère énormément d'argent. Le hockey n'est pas aussi professionnel, alors il n'attire pas autant.
Mais beaucoup de Pakistanais aiment encore ce sport. Personne n'oublie que c'est grâce à lui que le pays a remporté ses trois médailles d'or. Le hockey s'est beaucoup modernisé, alors on essaye de rattraper notre retard. Nous avons beaucoup de travail à faire pour y arriver."
De ses sprints de 100 m dans le sable à aujourd'hui, personne ne s'est autant donné pour ce sport que Hameed Khalid.