"C'est pour toi, Maman" : Dawn Fraser revient sur l'épreuve de sa vie à Tokyo 1964
Dawn Fraser était arrivée à Tokyo pour les Jeux de 1964 en tant que triple médaillée d'or en route vers une extraordinaire première olympique. Mais la nageuse de 27 ans était aussi une jeune femme meurtrie par un évènement tragique. Quelques semaines plus tard, elle quittera le Japon avec un record du monde en poche et, peut-être plus important encore, une foi retrouvée en l'humanité.
L'Australienne Dawn Fraser n'avait qu'une chose en tête en montant sur le plot de départ du 100 m nage libre féminin lors des Jeux Olympiques de Tokyo 1964. Cela n'avait rien à voir avec le fait qu'elle était potentiellement à moins de 60 secondes de devenir l'une des plus grandes nageuses olympiques de tous les temps. C'était quelque chose de beaucoup plus personnel et déchirant.
"J'ai levé les yeux au ciel et j'ai senti l'alliance de ma mère sur mon doigt et j'ai dit, 'C'est pour toi, Maman'", se remémore-t-elle 56 ans plus tard, la voix toujours emplie d'émotion.
Neuf mois avant, sa mère avait trouvé la mort dans un accident de voiture alors que Dawn Fraser conduisait.
"Rien ne pouvait m'arriver ce soir-là. C'était la course la plus spéciale de ma vie. Pour ma mère."
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. La mère de Dawn Fraser aurait dû être à Tokyo, au bord de la piscine, pour regarder sa fille tenter de devenir la première nageuse à remporter la même épreuve lors de trois éditions olympiques d'affilée, une performance jamais accomplie jusqu'alors même chez les hommes.
Ses deux parents l'avaient vue battre le record du monde en route vers sa première médaille d'or lors du 100 m nage libre des Jeux de Melbourne, dans son pays, en 1956 et remporter ensuite le relais 4 x 100 m nage libre. Mais ils n'avaient pas pu se rendre à Rome, en 1960, où la nageuse avait remporté son deuxième 100 m nage libre avec plus d'une seconde d'avance, une éternité pour une course disputée sur deux longueurs. Il n'en fallait pas moins pour galvaniser les habitants du quartier ouvrier de Balmain, à Sydney, où résidait sa famille.
"Ils ont dit que si je participais aux Jeux Olympiques de Tokyo, ils tiendraient des tombolas à partir de 1962 jusqu'à Tokyo et qu'ils paieraient le billet d'avion, l'hébergement et les frais de nourriture et de voyage de ma mère", explique Dawn Fraser.
"L'argent récolté a été reversé à une association caritative après son décès."
Mais à Tokyo, la nageuse n'avait pas que le mental à surmonter. En raison de l'accident, elle avait également dû porter une minerve pendant plusieurs semaines, non sans conséquence.
"La seule chose qui m'inquiétait vraiment, c'est que mon médecin m'avait dit que je n'avais pas le droit de plonger en dehors de ma compétition", raconte l'Australienne. "À Tokyo, c'est la première fois que je replongeais après l'accident et le retrait de ma minerve. Mon entraîneur n'avait interdit de plonger. Pendant toute ma préparation, je suis partie dans l'eau, en me propulsant du mur. Mais je n'ai pas raté mon plongeon en compétition, j'ai toujours eu un bon départ."
Cette confiance inébranlable a largement contribué aux performances de la nageuse, et peut-être plus que jamais à Tokyo 1964. Malgré les difficultés, l'optimiste Australienne n'a jamais douté. Pendant que l'Américaine Sharon Stouder arrivait dans la capitale japonaise avec l'étiquette de talent incroyablement précoce, étiquette qu'elle parviendra brillement à justifier en remportant trois médailles d'or, Dawn Fraser ne s'en souciait guère.
"Je ne me suis jamais inquiétée de mes adversaires. Peu importe comment je nageais et où je nageais, je ne me suis jamais inquiétée de mes adversaires", dévoile-t-elle. "J'avais l'habitude de regarder ce qu'elles faisaient puis je travaillais sur ma course, et c'était tout. C'était juste un nom pour moi, ce n'était pas important. J'avais ma voie, j'avais ma ligne noire [à suivre au fond de la piscine] et il fallait que je prenne mon impulsion à 50 m, que je fasse demi-tour et que je touche la première. Je ne pensais à rien d'autre."
Une attitude que son entraîneur Harry Gallagher approuvait totalement. Toujours appelé "Monsieur Gallagher" par la nageuse, il a joué un rôle prépondérant dans toutes ses victoires.
"Il me comprenait en tant que personne. Il n'a jamais voulu changer quoi que ce soit, il voulait juste que je sois plus forte dans l'eau. Il n'a jamais changé mon style", explique Dawn Fraser, qui a utilisé la technique du bras tendu tout au long de sa carrière.
L'ancien entraîneur, aujourd'hui âgé de 96 ans, et l'Australienne se parlent toujours une fois par semaine et les Jeux Olympiques de Tokyo 2020 figureront sans doute en bonne place dans leurs conversations l'année prochaine. Son ancienne élève conseille plusieurs nageuses australiennes de premier plan, dont l'une, Lani Pallister, l'enthousiasme tout particulièrement.
"Elle a le bon tempérament et le bon état d'esprit pour son sport", raconte Dawn Fraser sur la nageuse de 18 ans, qui a en septembre 2020 battu le record d'Australie du 800 m nage libre en petit bassin.
Une autre personne que la native de Sydney espère voir gagner à Tokyo est la star américaine Katie Ledecky. La spécialiste du 800 m nage libre a pour ambition de devenir le quatrième nageur, après Michael Phelps, Krisztina Egerszegi et donc Dawn Fraser, à remporter trois médailles d'or olympiques sur la même épreuve.
"J'adore la façon dont elle nage et sa maîtrise", révèle-t-elle. "Elle aime nager comme moi j'aimais ça. Elle y prend plaisir. J'espère qu'elle sera la prochaine nageuse à en gagner trois d'affilée. Ce serait fantastique qu'il y ait une autre femme."
Dawn Fraser, qui est revenue au Japon plusieurs fois au cours des 56 années qui se sont écoulées depuis qu'elle a marqué les derniers Jeux de Tokyo, ne manquera pas une minute des évènements et vibrera sans doute au rythme de la finale du 100 m nage libre femmes.
"Tokyo était quelque chose de très spécial parce que ma mère devait être là, mais elle ne l'était pas. C'était tout pour moi de gagner cette course, c'était pour elle."