Yohan Goutt Gonçalves, skieur de Timor-Leste : « Cette communauté de nations exotiques, c’est l’esprit olympique »

Pour la troisième édition consécutive, Yohan Goutt Gonçalves représentera la République démocratique du Timor-Leste en ski alpin, aux Jeux Olympiques de Beijing 2022. Mais au delà de la simple performance sportive, le Franco-timomais est un des piliers de l’émergence des nations exotiques du ski.

8 minPar Clémence Roult
Yohan Goutt Goncalves Pyeongchang 2018
(2018 Getty Images)

Yohan Goutt Gonçalves n’est pas un skieur alpin comme les autres.

En plus de s’être qualifié pour la troisième édition consécutive des Jeux Olympiques d’hiver, qui se dérouleront cette année à Pékin du 4 au 20 février 2022, il s’investit beaucoup dans la mise en lumière du pays de sa mère, la République démocratique du Timor-Leste, une petite île au nord de l’Australie, et pour la reconnaissance des « petites nations » du ski.

Le skieur de 27 ans jongle entre sa préparation olympique, le bon fonctionnement de la Fédération timoraise de ski qu’il a créée avec l’aide de sa famille avant les JO de Sotchi 2014, l’organisation de compétitions FIS pour les nations qui n’ont que peu de skieurs et son travail dans l’entreprise familiale.

Une vie à 100 à l’heure qui convient parfaitement à cet hyper actif, toujours en quête de faire le bien autour de lui.

Au milieu de toutes ses activités, Goutt a pris le temps de s’entretenir avec Olympics.com sur son attachement à la République démocratique du Timor-Leste, sa relation avec les « nations exotiques » du ski et ses ambitions à l’approche de Beijing 2022.

Représenter le Timor-Leste aux Jeux Olympiques d’hiver

Yohan Goutt est né en région parisienne, d’un père français et d’une mère timoraise. Dès sa plus tendre enfance, son père avait pris l’habitude d’emmener la famille au ski dès qu’il en avait l’occasion. Le coup de foudre a opéré immédiatement.

Un jour, le Suresnois est rentré d’une session de ski avec un ami de la famille et ce dernier, encore essoufflé par la séance de la journée, avait annoncé : « Ce petit ira aux Jeux Olympiques. »

Une phrase anodine qui est tout de suite devenue un objectif pour Goutt. Du haut de ses huit ans, il a dit à sa mère : « C'est ça que j'ai envie de faire. J'ai envie de skier pour le Timor aux Jeux Olympiques. »

En plus d’être une immense fierté pour sa mère, sa volonté de skier pour le Timor-Leste vient de l’envie de rendre hommage à sa famille maternelle.

« Mes oncles étaient de véritables héros de la nation. Je me suis demandé comment, à mon échelle, je pouvais faire quelque chose et ne pas oublier mes racines. Je me suis dit que le sport était une excellente opportunité », expliquait Yohan Goutt.

Une décision qui peut paraitre incongrue quand on sait que le mot « neige » n’existe pas dans les dialectes de l’île et qui a donné lieu à des situations étonnantes.

« Un jour, j’étais au Timor et quelqu’un m’a demandé d’où je venais. J’ai répondu que j’étais Franco-timorais et la personne m’a dit : "Oh, on connait un Fanco-timorais aussi ! Il fait du ski, nous sommes très fier de lui », s’amusait le jeune skieur.

Car si son visage n’est pas forcément connu, son nom et l’exposition qu’il apporte à cette île du Pacifique ne sont pas passés inaperçus, surtout en tant que le seul et unique sportif du pays à avoir participé aux Jeux Olympiques d’hiver.

De la même manière, le drapeau de la République démocratique du Timor-Leste intrigue les autres skieurs lorsque Goutt se rend sur des compétitions. « Lors d’une étape Coupe du monde, je traversais la salle des athlètes et toute l’équipe suisse a commencé se poser des questions sur le drapeau. Comme ils parlaient français, je me suis approché d’eux et nous avons commencé à parler de la République démocratique du Timor-Leste avec le Suisse Daniel Yule [champion olympique de slalom parallèle par équipes mixtes à PyeongChang 2018]. »

Faire connaître son pays tout en pratiquant son sport favori était l’objectif principal de Yohan Goutt. Mais le chemin pour arriver jusque là, n’a pas été un long fleuve tranquille.

Créer une fédération et unir les petites nations du ski

Bien que quelques athlètes aient participé aux Jeux d’été de Sydney 2000 sous une bannière neutre, ce n’est qu’en 2003 que le Comité National Olympique ne s’est vraiment formé, un an après l'indépendance du pays, offrant ainsi la possibilité aux sportifs timorais de participer aux Jeux Olympiques en portant haut et fier leurs couleurs.

Mais au Timor, hormis au sommet de la montagne Ramelau, qui culmine à presque 3 000 m d’altitude et où il peut faire 8°C de nuit et en hiver, la température moyenne reste de 28°C et l’île n’a jamais connu la neige.

Forcément, la nation partait de zéro en terme de sports d’hiver.

« Vers 15 ans, j’avais toujours le projet de représenter le Timor aux JO, donc je me suis tourné vers ma mère et je lui ai demandé comment on pouvait concrétiser ce projet. Il a d’abord fallu créer la fédération de ski. »

« Le CNO nous a aidé sur toute la partie olympique, mais nous avons dû nous tourner vers la FIS pour tout ce qui était sportif, donc les points de qualifications etc. », se souvient Yohan Goutt.

Une fois la fédération créée, le skieur alpin était désormais en capacité d’avoir une licence et de skier pour le pays en compétitions officielles. Une aventure rondement menée, à tel point qu’encore aujourd’hui, certaines disciplines sportives, se tournent vers la fédération de ski créée par Goutt, pour connaître les démarches à suivre pour monter à leur tour, leur fédération sur l’île.

Mais l’impact de la création de cette fédération de ski est bien plus important que cela. Elle dépasse les frontières du Timor oriental.

Au fil des années, Yohan Goutt s’est lié d’amitié avec certains skieurs qui, comme lui, ne viennent pas de nations historiques du ski. Avec le Jamaïcain Benjamin Alexander, le Ghanéen Carlos Maeder, le Marocain Yassine Aouich et le skieur du Chinese Taipei Calcy Ning-Chien Tang, ils forment la « exotic ski team », un groupe (non officiel) mais qui respire l’esprit olympique.

« C'est avec le Jamaïcain que nous avons monté cette équipe. Je lui ai dit : "si tu as des questions, n'hésite pas, on peut s’entraider." J'ai la chance d'avoir deux expériences de Jeux Olympiques, donc je peux aider les gens qui veulent y arriver et eux aussi peuvent raconter les courses qu'ils ont vécues. »

« Et puis, on se dit "Tient sur cette course, on peut faire des bons points et si on y allait ?" On fait une petite réunion et décide d'y aller tous ensemble. On partage l'hôtel, la nourriture, la location du van. C'est comme ça qu'on a décidé de mutualiser les frais et même les entrainements. On n'est pas des coachs mais on a un peu d'expérience, donc on fait des entraînements comme on peut, on s'entraide et on espère que tout le monde va arriver à atteindre ses objectifs. »

« Il n'y a pas que les points, etc. C'est aussi cette communauté de petites nations, de cultures différentes et je dirai même que c'est peut-être cela l’esprit olympique », poursuivait Goutt.

Pour aller encore plus loin dans son investissement en faveur des nations insolites du ski, le jeune skieur, organise, via sa fédération, des courses FIS comme celle de Dubaï en novembre 2021, la première compétition FIS à être organisée dans un dôme, et durant laquelle Yohan Goutt a remporté son billet pour Beijing 2022.

Car il ne faudrait pas l’oublier, le ski reste l’un des objectifs principaux de Goutt.

Le slalom géant en plus du slalom à Pékin

« À Sotchi, mon objectif était de montrer mon drapeau à la cérémonie d’ouverture et de figurer sur le tableau final. C’est ce que j’ai fait, je suis arrivé 43e, mais en ne skiant pas au maximum de mes capacités. À PyeongChang, je voulais donner tout ce que j’avais. Peut-être trop, puisque je suis sorti de la piste, comme beaucoup d’autres skieurs cette année-là », racontait Goutt en dressant le bilan de ses deux premières participations olympiques.

Mais cette année, l’objectif est encore différent. À Pékin, Yohan Goutt sera engagé dans deux épreuves : le slalom et le slalom géant. Une première pour lui et pour sa nation.

« Comme pour PyeongChang, j’ai envie de donner mon maximum à Pékin et de terminer mes descentes avec un ski plus que correct. »

Pour cela, Yohan Goutt peut compter sur ses amis des nations exotiques avec qui ils s’entraînent en Europe de l’Est.

Bien qu’il attende ces prochains JO avec impatience, Goutt a déjà de nombreux projets en tête pour la suite de son aventure. En plus d’avoir passé un accord avec la Fédération de ski Suisse pour avoir des skis-roues et faire découvrir sa discipline aux Timorais, il envisage de devenir directeur technique de course.

En attendant, Yohan Goutt Gonçalves a rendez-vous avec les pistes chinoises dès le 4 février.

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