Une grande première et un triplé de légende pour les sauteurs japonais à Sapporo 1972
Le 6 février 1972, Yukio Kasaya devient le premier champion olympique japonais aux Jeux d'hiver en remportant largement le concours sur tremplin normal, au stade Miyanomori de Sapporo. Pour un pays qui ne comptait jusqu'alors qu'une seule médaille, en ski alpin, la journée est historique puisque Akitsugu Konno et Seiji Aochi montent en sa compagnie sur le podium pour un triplé retentissant !
C'est peu dire que tout le peuple d’Hokkaidō (l'Île du nord de l'archipel japonais où est situé Sapporo) et l'ensemble du pays attendent monts et merveilles de l'équipe de sauteurs à ski, tous issus de la région, qui vont s'élancer du tremplin K70 du stade Miyanomori le 6 février 1972 pour la compétition olympique sur tremplin normal. Ils se nomment Yukio Kasaya, Akitsugu Konno Seiji Aochi et Takashi Fujisawa. L'attente est d'autant plus grande que la veille, les patineurs de vitesse japonais ont déçu dans l'épreuve du 500 m, où ils ont terminé loin du podium.
Le Japon n'a remporté qu'une médaille aux Jeux d'hiver, à Cortina d'Ampezzo en 1956, quand le skieur alpin Chiharu Igawa a signé un exploit majeur en remontant de la sixième place dans la seconde manche du slalom pour prendre la médaille d'argent derrière l'Autrichien Toni Sailer. Mais cette fois, les choses pourraient bien changer. Les quatre sauteurs font partie des meilleurs mondiaux, et Yukio Kasaya est un des principaux favoris. Déjà présent en 1964 à Innsbruck et en 1968 à Grenoble, sans résultats marquants, il va disputer ses troisièmes Jeux dans une bien meilleure position au sein du concert mondial.
Yukio Kasaya a 28 ans (il est né le 17 août 1943 à Yoichi dans l’Hokkaidō) et il a ouvert son palmarès international en terminant deuxième sur tremplin normal lors des Championnats du monde 1970 disputés à Vysoke Tatry (Tchécoslovaquie). Mais surtout, lors de cet hiver olympique 1971-1972, il s'est imposé dans les trois premières étapes de la prestigieuse Tournée des quatre tremplins, à Oberstdorf, Garmisch-Partenkirchen et Innsbruck. Alors qu'il va devenir le premier sauteur de son pays à gagner cette si fameuse compétition, il décide de retourner avec toute son équipe au Japon pour mieux préparer le défi olympique. Ainsi, Kasaya est absent à Bischofshofen où le Norvégien Ingolf Mork s'impose et remporte par la même occasion le trophée de la Tournée.
Et Yukio Kasaya s'envole…
Au quatrième jour des XIe Jeux d'hiver, une foule immense est massée en bas du tremplin de Miyanomori, situé dans les montagnes à l'extérieur de Sapporo. La pression est intense sur les sauteurs japonais, et tout particulièrement sur Yukio Kasaya. Mais si pression il y a, elle leur donne des ailes. Dans une épreuve où les sauteurs s'élancent bonnet sur la tête et volent les bras le long du corps, penchés à l'extrême sur les skis parallèles (contrairement au saut avec les skis en V que l'on connaît de nos jours), il réalise dès son premier bond le plus long saut du concours, retombant à 84,0 m pour s'installer en tête. Seiji Aochi suit avec 83,5 m, Akitsugu Konno est troisième avec 82,5 m, Takashi Fujisawa ferme la marche avec 81,0 m : les quatre Japonais sont aux quatre premières places avant la deuxième rotation !
En embuscade à plus de 80 m, il y a le Suédois Rolf Nordgren et le Polonais de 19 ans Wojciech Fortuna. Ingolf Mork, le vainqueur de la Tournée des quatre tremplins, est plus loin avec un bond à 78,0 m.
La pression monte encore d'un cran. Les dizaines de milliers de spectateurs, les millions de téléspectateurs japonais massés devant leurs postes retiennent leur souffle. Yuko Kasaya garde son calme et s'élance avec son dossard n° 50. Il dévale le tremplin, décolle et retombe à 79,0 m : c'est encore le meilleur saut parmi les 56 concurrents de ce deuxième essai. Il va s'imposer sous les ovations du public avec un score de 244,2 et une marge de 10 points pour devenir le premier médaillé d'or japonais aux Jeux Olympiques d'hiver.
Un triplé pour l'histoire
Et ce n'est pas tout, Akitsugu Konno retombe lui aussi à 79,0 m, mais il est moins bien noté en style. Toutefois, ses 234,8 points lui permettent de remonter d'un rang pour prendre la médaille d'argent. Seiji Aochi, 77,5 m pour un total de 220,5, complète un extraordinaire triplé japonais, ou… Les trois premières médailles olympiques du pays en saut à ski ! Finalement, c'est Takashi Fujisawa qui cède à la pression ; il rate son saut (68,0 m) et recule au 23e rang final. Seule la Norvège avait jusque-là réussi à placer trois sauteurs aux trois premières places, à Lake Placid en 1932 puis à Saint-Moritz en 1948, et il n'y a plus jamais eu par la suite trois levers de drapeaux identiques en saut à ski.
Ingolf Mork se contente de la 4e place de ce concours, alors que l'adolescent Wojciech Fortuna se classe 6e, mais il va marquer l'histoire quelques jours plus tard en s'imposant sur le grand tremplin pour devenir le premier médaillé d'or de la Pologne dans l'édition olympique hivernale.
Après ce triplé historique, les sauteurs japonais deviennent des héros nationaux. Ils gagnent le surnom de "Hinomaru hikōtai" (l'escadron du soleil-levant) et un timbre est émis à l'effigie de Yukio Kasaya. On le reverra sur la scène olympique en 1976 à Innsbruck, 16e sur tremplin normal, 17e sur grand tremplin. Puis il aura l'honneur de porter le drapeau olympique lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Nagano en 1998.
Une source d'inspiration pour les générations suivantes
L"Hinomaru hikōtai" a été une source d'inspiration pour les générations de sauteur japonais qui ont suivi et ont brillé sur la scène olympique. Comme Kazuyoshi Funaki, médaillé d'or sur grand tremplin et membre du quatuor vainqueur par équipes dans une ambiance indescriptible à Nagano en 1998. Ou Noriaki Kasai, né en 1972 dans l’Hokkaidō et bercé par la légende du triplé japonais, l'olympien aux huit éditions des Jeux d'hiver, médaillé d'argent par équipes à Lillehammer en 1994 et encore sur le grand tremplin vingt ans plus tard à Sotchi.
Funaki, Kasai et l'équipe sacrée à Nagano 1998 ont à leur tour inspiré les champions d'aujourd'hui, comme Ryoyu Kobayashi qui a tout gagné lors de la saison 2018-2019 (la Tournée des quatre tremplins avec un grand chelem, la Coupe du monde, le classement du vol à ski) et les Japonaises qui figurent saison après saison parmi les meilleures mondiales. Le saut à ski est devenu une tradition au Japon, et les héros de 1972 qui ont marqué l'histoire y sont pour beaucoup.