Les sœurs Dufour-Lapointe : « À trois, on peut déplacer beaucoup de montagnes »

On ne présente plus Maxime, Chloé et Justine Dufour-Lapointe, les trois sœurs et stars canadiennes du ski de bosses. Avant la deuxième épreuve qualificative et la finale de l'épreuve à Beijing 2022, le 6 février, partez à la rencontre des trois acolytes inséparables dans un entretien débordant de complicité fraternelle.

9 minPar Emma Hingant
Maxime, Justine et Chloé Dufour-Lapointe
(via Tissées Serrées/Andréanne Gauthier)

Le ski de bosses, chez les Dufour-Lapointe, c’est en famille que ça se pratique.

Dans cette fratrie québécoise, c’est la cadette Chloé, alors qu’elle n’a que 10 ans, qui embarque ses deux sœurs, Maxime et Justine, dans l’aventure après être allée voir une amie en faire. Depuis, Chloé a remporté une médaille d’argent olympique à Sotchi 2014 et Justine, la petite dernière, l’or à Sotchi et l’argent à PyeongChang 2018 en plus d’être sacrée championne du monde en 2015.

Pour sa part, Maxime, 32 ans, l’aînée, a décroché plusieurs podiums en Coupe du monde et participé à Sotchi avant de mettre un terme à sa carrière sportive en 2018 pour se lancer dans des études de médecine, un domaine où elle retrouve le besoin « de détermination, d’organisation, de persévérance et de résilience », des compétences qu’elle a acquises en compétition.

En novembre 2021, Olympics.com a rencontré en exclusivité les trois inséparables qui sont à nouveau réunies aux Jeux Olympiques de Beijing 2022 à Pékin, dans des rôles différents.

Chloé, 29 ans, « romantique, rêveuse et mystérieuse », et Justine, 27 ans, « joyeuse, énergique, impatiente », ont participé aux qualifications de l'épreuve de ski de bosses, le 3 janvier. Justine s'est qualifiée pour la finale tandis que Chloé disputera la deuxième épreuve de qualification.

Maxime, elle, est en République populaire de Chine en tant que mentor avec l’équipe canadienne. Un rôle de grande sœur qu’elle connaît bien, elle que ses frangines décrivent comme étant « carrée, cartésienne et responsable ».

Découvrez notre entretien avec les trois complices Dufour-Lapointe qui ont aussi fait l’objet d’une série documentaire, « D’un rêve à l’autre », sortie le 2 décembre sur la chaîne québécoise Crave TV.

Découvrez le programme complet du ski acrobatique à Beijing 2022

Olympics.com : Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Chloé : Chaque année, il y avait des Coupes du monde à Tremblant et j’ai vu Jennifer Heil faire un 360 grabs. J'ai dit : « Oh ! C’est ça que je veux faire un jour. » J'ai vraiment gardé cette image-là. Jennifer Heil a été longtemps mon idole et avant 2014, j'ai eu la chance de travailler avec elle comme mentor.

Justine : De mon côté, mes inspirations sont clairement mes sœurs. J’ai commencé le ski de bosses pour faire comme elles. Je n’avais pas nécessairement de défis ou d’objectifs clairs dans ma carrière. C’est quand j'ai su que Chloé allait participer aux Jeux de Vancouver [2010] que j'ai eu la piqûre pour les Jeux Olympiques. Quand je suis arrivée sur l'événement, que j’ai vu l'ampleur des Jeux Olympiques, cette espèce de grandiosité, la lumière, le monde qui s'arrête pendant 30 secondes pour regarder ma sœur. J'ai fait : « OK, waouh, ça c’est hot ! J’ai envie de faire ça un jour. » Après ça, j'ai mis les bouchées doubles pour me rendre aux Jeux Olympiques de Sotchi [2014].

Maxime : Moi, j'aimais regarder les Coupes du monde et j’aimais aussi beaucoup regarder les hommes sauter parce que les sauts, c'est ce que j'aimais le plus. Je voulais sauter aussi gros, aussi haut que les hommes. Ça a été comme ça tout au long de ma carrière. Puis, quand j'ai vu Chloé aux Jeux de Vancouver, quand j'ai constaté ce qu’était le Mouvement olympique, je me suis dit : « Waouh, je veux faire partie de ce mouvement. »

Pensez-vous avoir atteint ce niveau-là parce que vous êtes ensemble ?

Justine : Je pense que oui.

Chloé : Je pense qu’on a des avantages que d’autres n’ont pas. Quand on est sur la route longtemps, on a vraiment des personnes de confiance avec nous. Il y a des journées où c’est plus difficile, mais il y en a tout le temps une qui est plus…

Maxime : Qui a le moral.

Chloé : Qui a le moral, qui a plus envie de pousser cette journée-là. C’est une source de motivation.

Maxime : C’est vrai que partout où on allait, il y avait un sentiment de familiarité. Et on a vécu des choses qui nous ont rapprochées aussi. Mais oui, clairement, je ne pense pas que je me serais rendue aussi loin dans le sport si je ne l’avais pas partagé avec mes sœurs.

Justine : Surtout quand on était plus jeunes, le fait de voir quelqu'un aspirer à de grands rêves comme Chloé l’a fait – pouvoir se rendre jusqu'à Vancouver – tu te dis : « Eh bien moi aussi je veux essayer, moi aussi je veux avancer là-dedans ». Donc je pense que ça nous élève à un autre niveau ensemble, c'est clair.

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Y a-t-il un petit côté compétitif entre vous ?

Justine : C’est sûr qu'on est compétitives dans la vie et on aime performer, mais on a décidé de ne pas nécessairement nourrir cette compétitivité entre nous trois. Je pense que c'est notre mère qui nous a inculqué cette valeur. On pratique un sport individuel à la base donc on est jugé par notre performance propre […] et quand ça ne va pas bien ou quand tu fais une contre-performance, la seule personne à qui tu peux vraiment en vouloir, c'est toi-même. Je pense que c’est comme ça qu’on l’aborde. C'est pour ça qu'on a toujours une belle relation avec la compétition. Et, au contraire, quand il y a des échecs ou des victoires, je pense que de le vivre à trois, c'est beaucoup mieux que de le vivre seule.

Comment vous soutenez-vous dans les moments où il y en a une qui n’est pas au mieux ?

Justine : C'est parfois difficile quand on vit des peines. Par exemple, quand on a appris que Maxime n’allait pas aux Jeux [de PyeongChang 2018], ça m’a crevé le cœur parce qu’on est capable de se mettre dans la peau de l’autre, de savoir à quel point l'autre a travaillé si fort pour atteindre son objectif. Et là, ça n’arrive pas. Donc on ressent beaucoup la peine que l'autre peut ressentir. Mais en même temps, c’est sain de vivre ces émotions. Chloé et moi, on partait pour les Jeux, […] je savais que Maxime était derrière nous pour nous supporter à travers tout ça même si je sais qu'elle avait une grande peine.

Maxime : À la base, on sait aussi se donner de l'espace quand on en a besoin, pour vivre chacune nos propres émotions autant qu'on sait qu’on est supportées si on veut en parler. […] Il y a vraiment un cheminement personnel à faire. Et on va toujours être là l'une pour l'autre.

Quels sont les rôles de chacune au sein de votre fratrie ? Maxime, par exemple, as-tu toujours eu le rôle de « grande sœur » ?

Justine : Oui, l’aînée a toujours eu ce rôle !

Maxime : Il a plus fallu s’en affranchir que de le développer. C’était très, très instinctif.

Justine : Je pense que j’ai toujours aimé…

Chloé : Te faire remarquer ! [Rires]

Justine : Amener de la joie de vivre, détendre l’atmosphère. Je vois la vie simplement, je ne me casse pas trop la tête. Je pense que c'est peut-être ma force dans un sens et parfois, ça ramenait le groupe à rire, puis à se rallier. Et juste avoir du plaisir ensemble. C’est un peu le travail d'être une troisième, le bébé de la famille. [Elle se tourne vers Chloé] Et toi, tu es raisonnable ?

Chloé : Non, moi je suis le souffre-douleur ! [Rires]

Maxime : Ah toi, tu as tout le temps été une victime. [Rires] Je pense qu’à trois, d'avoir vécu aussi proche aussi longtemps, on a naturellement trouvé notre façon d'apporter des choses au groupe. Puis, je pense que nos forces complètent les faiblesses de l'autre. Ce qui fait qu’à trois, on peut déplacer beaucoup de montagnes.

Après les Jeux 2018, vous avez annoncé que votre maman était atteinte d'un cancer. Qu’est-ce que ça a changé dans votre vie ?

Justine : Ça nous a affecté au plan émotionnel de la famille, ça a un peu changé les perspectives par rapport à la vie en général. Ça nous a toutes vraiment ébranlées au plus profond de nous-mêmes. Et maintenant, ça va bien, notre mère reprend du mieux. Je pense qu’on a un peu changé notre perspective sur la vie dans le sens que maintenant, je pense qu'on est…

Chloé : On dramatise moins.

Maxime : Oui, on apprécie plus.

Justine : On apprécie plus. On est plus gratifiantes de toutes les opportunités qui nous arrivent. Je pense que ça nous a remis un peu les perspectives à la bonne place. Oui, ça n’a pas été évident et je ne le souhaite à personne, mais maintenant, aujourd'hui, je me sens grandie de cette épreuve-là. Je pense qu’on a beaucoup appris et ça nous a aussi encore plus rapprochés, ensemble la famille. Déjà qu’on était proches, mais je pense que là, on a atteint un autre niveau. C'est vraiment cool de voir, malgré ces gros défis de vie, qu’on a quand même réussi à en tirer du bon.

Chloé : Le cancer a créé beaucoup de stress. Quand c’est arrivé, je me suis dit : « Tu n’as plus de but de skier si la famille n’est pas là. Si ma mère n’est plus là, ça sert à quoi de skier ? »

Justine : Ça a relativisé un peu les choses.

Chloé : Oui. Ça a enlevé un peu de pression.

Dans quel état d'esprit abordez-vous les Jeux Olympiques ?

Chloé : Il faut avoir l'esprit léger pour dédramatiser. Ça nous permet de skier en toute liberté. Quand j’ai plus de stress, mon ski est plus rigide. Donc, lorsque je suis dans un état un peu plus de légèreté, de joie, de plaisir, je pense que les résultats vont suivre. Je veux m’amuser. Pour moi, ce sera mes quatrièmes Jeux Olympiques donc j’ai décidé que je voulais en profiter à fond…

Justine : Savourer.

Chloé : Savourer chaque moment. Donc pour moi, je veux y aller avec cette légèreté, être la Chloé 2.5 renouvelée. Par expérience, j’ai envie de vivre cette année dans le plaisir et le sourire, parce que la COVID, la maladie…

Justine : Je pense qu’on est prêtes à aller en profiter vraiment, aller montrer qui on est.

Chloé : Passer un bon moment aux Jeux.

Justine : Oui, c’est vraiment un bon moment. Et de le vivre ensemble aussi.

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