Martin Fourcade et l'ascenseur émotionnel des Jeux de PyeongChang 2018

Martin Fourcade, le meilleur biathlète de l'histoire avec Ole Einar Bjørndalen, l'homme aux sept victoires consécutives au classement général de la Coupe du monde, aux 31 globes de cristal, et aux 25 médailles mondiales, est aussi le sportif français le plus titré aux Jeux Olympiques avec cinq victoires. À PyeongChang, il a tout connu. Porte-drapeau, trois médailles d'or, mais aussi deux énormes déceptions. En ce jour anniversaire de sa victoire dans la pour-suite à PyeongChang, il répond aux questions d'olympic.org.

Martin Fourcade et l'ascenseur émotionnel des Jeux de PyeongChang 2018
(2014 Getty Images)

Vos 3es Jeux à PyeongChang commencent par une désillusion, avec la 8e place du sprint. Quels sont vos sentiments à ce moment-là ?

C'est une course que j'avais énormément préparée. Je l'avais abordée de la meilleure des façons. Je crois que le fait d'avoir été porte-drapeau m'avait permis deux jours auparavant de rentrer pleinement dans mes Jeux et d'enlever une partie de la pression inhérente à cet évènement. C'est une course presque sans faute. Il y a juste une petite erreur de lecture du vent sur le tir couché. Je rentre mes deux premières balles, je loupe les trois dernières, parce que le vent a changé et que je ne l'ai pas perçu pendant que je tirais. C'est la seule erreur qui me coûte ce titre olympique que j'ambitionnais tant et qui m'aurait permis de lancer ces Jeux d'une manière idéale. C'est étrangement l'une des courses les plus maîtrisées de ma carrière et à une balle près, je ne suis pas champion olympique car à 8 sur 10, j'aurais gagné ce jour-là. Le soir, j'ai beaucoup d'incompréhension et d'amertume mais je prends aussi en compte le fait que je suis dans une position agréable pour la poursuite, et que je vais devoir y sortir mon meilleur jeu.

Et le 12 février, vous remportez magistralement cette poursuite…

C'est un vrai sentiment de revanche et de satisfaction par rapport au sprint, de fierté aussi parce qu'un titre olympique, c'est quelque chose d'énorme. Je suis venu à PyeongChang pour remporter une médaille d'or, donc cela me permet d'ores et déjà d'avoir rempli mes objectifs et de pouvoir désormais rêver à plus. Ce sont des sensations fantastiques. La fierté d'avoir réussi quatre ans après mon premier titre, huit ans après ma première médaille olympique à répondre présent, à être resté pendant toutes ces années au sommet de mon sport avec tous les sacrifices que cela comporte.

Quand on gagne un titre olympique, c'est un peu tout cela qui ressort. Dans l'instant, c'est la maîtrise de la course. Une seule petite erreur et une grosse avance à l'arrivée qui me permet de savourer dans le dernier tour. Au-delà de ça, c'est aussi un ensemble de choses qui remontent. En Coupe du monde, quand on est habitué à gagner, on a tendance à savourer la course du jour, mais là, sur des Jeux Olympiques, je pense à tout l'investissement sur l'ensemble d'une carrière, aux épreuves difficiles que j'ai réussi à surmonter et aux huit années de domination au sommet de mon sport.

Vous ratez ensuite vos deux dernières balles lors de l'épreuve individuelle 20 km et vous terminez 5e. Cela vous met-il en colère ?

Cette épreuveindividuelle, c'est sans doute la plus grosse déception me ma carrière. C'est une course qui m'était offerte, ou que je m'étais offerte. Il suffisait de finir le travail. C'est étrange, mais j'aurais gagné si j'avais fait basculer au moins une de ces deux cibles, comme sur quasiment 100 % des autres courses. Mais ce jour-là, ce sont les Jeux Olympiques. Ce n'est pas de la pression, c'est de la fatigue engendrée par tout ce j'ai vécu auparavant, par la déception sur le sprint, par l'ascenseur émotionnel énorme sur la poursuite. Et j'arrive sur cette épreuve individuelle très fatigué, j'ai eu des problèmes de sommeil. C'est un manque de fraîcheur qui me coûte ces deux dernières balles. Je n'ai pas réussi à réagir au moment de les tirer. Après, il y a bien sûr une grosse colère, mais en même temps, je reste fier de ce que j'ai réalisé jusque-là. Comme sur le sprint, il manque une balle pour changer une course frustrante en titre olympique ! 

Avez-vous considéré votre victoire dans la mass-start du bout du ski face à Simon Schempp comme une revanche par rapport à la même arrivée à la photo-finish à Sotchi 2014 où Emil Hegle Svendsen vous avait devancé ?

C'est une course qui comptait beaucoup pour moi émotionnellement, c'est ma première médaille olympique, mon premier podium international à Vancouver en 2010, c'est cette symétrie inversée par rapport aux Jeux de Sotchi. J'ai vu le scénario se répéter dans ma tête en me disant : "Non, ça n'est pas possible. Je ne peux pas encore aller chercher l'argent". Trois fois, je me suis battu pour la victoire dans cette épreuve aux Jeux, et ça s'est joué à pas grand-chose. C'est une course que j'affectionne particulièrement, et je me suis dit qu'elle pouvait encore m'échapper. C'est pour cela que j'ai tapé mon bâton de rage dans l'aire d'arrivée. Je ne savais pas si c'était moi ou lui qui avait gagné. Il y a peine plus d'écart en ma faveur qu'en ma défaveur quatre ans plus tôt. Une dizaine de centimètres. C'est un finish haletant, on ne connaît pas le vainqueur jusqu'à la ligne d'arrivée. C'est la magie du biathlon. Si vous n'avez pas aimé le biathlon ce soir-là, passez à autre chose, vous n'aimez pas ce sport. Je peux le comprendre mais je pense que vous ne l'apprécierez jamais.

Votre troisième titre à PyeongChang arrive au terme de l'épreuve mixte où vous êtes le dernier relayeur français. Enfin une victoire collective ?

C'est la première médaille olympique en relais de ma carrière. C'est une épreuve qui offre souvent des opportunités quand on a une équipe forte comme l'équipe de France. C'était mon cinquième relais olympique, sur les quatre premiers, nous n'avions pas su répondre présents collectivement. C'est donc une vraie fierté dans ma carrière d'avoir permis au collectif avec lequel je m'entraîne tout au long de l'année de gagner la plus belle médaille. C'est une émotion partagée, bien différente de celles que j'ai pu avoir en individuel, vraiment savoureuse compte tenu de l'histoire, et du jour où je me retournerai sur ma carrière, où mes trois Jeux restent un moment à part. Cela m'a énormément apporté, j'ai su répondre présent les trois fois.

À PyeongChang, il y a certaines parties que je n'ai pas su gérer, la fatigue et les sollicitations m'ont coûté beaucoup plus que d'habitude et je pense que j'aurais pu avoir deux titres olympiques de plus. Cela peut paraître prétentieux. Si j'avais su gérer l'événement, cela se serait passé autrement. On peut toujours refaire le monde, mais j'ai vraiment ce sentiment d'avoir une histoire olympique forte avec cinq titres et sept médailles. Je sais aussi que si j'avais su gérer certains à-côtés, cela aurait pu être encore plus. Il n'y a aucun regret de ma part, c'est juste un constat et quelque chose que j'essayerai d'apporter aux générations d'athlètes qui me succéderont. J'ai eu la chance de pouvoir me battre pour cinq titres olympiques, et les fois où je suis passé à côté sont un peu accessoires, mais quand on a la chance de décrocher une médaille olympique dans sa carrière, les petits détails n'ont rien d'accessoire. 

Vous êtes devenu le sportif français le plus décoré aux Jeux Olympiques. C'est important pour vous ?

Ça n'a jamais été une quête. Ensuite, ce serait mentir de dire que ce n'est pas un réel honneur, une vraie fierté de pouvoir être comparé à Jean-Claude Killy, à Tony Estanguet, à tous ces sportifs qui ont beaucoup compté pour moi et qui aujourd'hui encore restent des figures populaires du sport français. Mais ce n'est pas quelque chose que j'ai recherché.

Quel est votre meilleur souvenir aux Jeux ?

J'en ai plusieurs. La découverte de l'univers olympique à Vancouver en 2010. Quelque chose d'extrêmement fort pour moi. Mes premiers Jeux, avec mon frère Simon, ma première médaille olympique. Puis, il y a mon premier titre à Sotchi dans la poursuite. J'ai attendu quatre ans, J'ai dominé mon sport, et c'était la dernière récompense qui me restait à gagner en biathlon. Et j'ai dû attendre avant d'aller la chercher. À PyeongChang, c'est une aventure totalement différente, plus réfléchie. Je suis porte-drapeau de la délégation française, je dois défendre des titres olympiques et tenter d'en gagner d'autres, je dois assumer mon statut de numéro un mondial. Donc, c'est aussi beaucoup de bons souvenirs.

Et les pires ?

Le sprint de Vancouver, car c'était la première grande désillusion de ma carrière. Une énorme frustration de savoir que la météo a anéanti toutes mes chances, parce que le temps a changé durant la course, et cela m'a porté préjudice. Après, il y a le sprint à Sotchi où j'ai été un peu assommé. Et bien sûr, le sprint et l'épreuve individuelle à PyeongChang. Ce sont des souvenirs douloureux, mais ils m'ont aussi permis d'aller chercher plus loin. Vancouver m'a énormément servi pour devenir le meilleur biathlète du monde. Sotchi et PyeongChang m'ont servi pour réagir le lendemain et aller chercher ces titres olympiques. Un titre olympique n'est jamais anodin.

Comment avez-vous trouvé l'organisation et l'ambiance générale à PyeongChang ?

L'organisation était excellente. L'ambiance était très bonne. On a eu la malchance de devoir jouer avec le froid. Quand il fait -20, -25 degrés, c'est moins chaleureux qu'une ambiance autour de 0° !

Ces Jeux me laissent un excellent souvenir. Je suis très satisfait de mon expérience et d'avoir pu partager ça dans un grand village olympique, avec toutes les disciplines de la montagne, comme cela avait été le cas à Vancouver, mais pas à Sotchi. C'est pour moi une superbe expérience.

Vous êtes aujourd'hui président la commission des athlètes du comité d'organisation de Paris 2024. Comment voyez-vous votre rôle ?

C'est d'arriver à faire en sorte que mes expériences olympiques puissent être mises au service de ceux qui vont arriver et qui auront la chance de découvrir cet univers. Je parlais de petits détails, eh bien, c'est aussi essayer de les améliorer pour les athlètes du monde entier, notamment d'un point de vue sportif, puisque c'est une échéance incroyable dans une carrière. Il faut que tout soit mis en œuvre pour mettre les athlètes dans les meilleures conditions possibles, mais qu'ils vivent aussi une expérience humaine, culturelle qui marque une vie. Cela a été le cas pour moi dans mes trois olympiades. J'ai envie que tout soit parfait à Paris 2024, et que tout ait été pensé pour le bien-être et l'expérience des athlètes. 

Pensez-vous disputer vos quatrièmes Jeux à Beijing 2022 ?

Je me suis engagé pour deux ans, la saison en cours et la prochaine. Je ferai le point au terme de celle-ci pour savoir si je sens l'énergie de rallier Beijing avec autant d'investissement et de plaisir que celui que j'ai pu éprouver pendant mes treize années de carrière internationale, entre ma première course de Coupe du monde et l'an dernier. Si je sens ça, j'irai à Beijing. Et si cette flamme-là est moins vive que par le passé, je déciderai de la mettre au service des générations futures et des Jeux Olympiques à construire. Je ne me sens pas l'âme d'un entraîneur, en revanche je pense qu'il serait dommage que mon expérience et les compétence que j'ai acquisesne servent pas pour une seconde vie !

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