25 ans après, l’héritage de Lillehammer rayonne toujours
Lorsque Lillehammer, ville du sud de la Norvège, a été choisie pour accueillir les Jeux Olympiques d’hiver de 1994, certains ont émis des doutes sur le bien-fondé de cette décision. Certes, la Norvège pouvait mettre en avant une belle tradition de sports d’hiver. D’un autre côté, elle était aussi le plus petit pays de l’histoire à accueillir des Jeux Olympiques d’hiver. Dès lors, on s’interrogeait pour savoir si une ville aussi petite, peuplée d’à peine 23 000 âmes et fière de baigner dans une "atmosphère de village", pouvait accueillir un événement international aussi important.
Les sceptiques ont cependant eu tort sur toute la ligne, à tel point que le magazine Sports Illustrated a baptisé les Jeux de Lillehammer "les Jeux conte de fées… Ils ne pouvaient pas exister. La réalité ne peut pas être aussi convaincante".
Aujourd’hui, du logo de Lillehammer 1994 ornant les plaques d’égout à l’impressionnant tremplin de saut à ski de Lysgårdsbakken surplombant la ville, les souvenirs de ces deux semaines de 1994, qui ont réveillé la ville de Norvège et l’ont placée au centre de l’échiquier sportif, sont toujours vivaces.
Pour Audun Tron, alors maire de Lillehammer, la question de l’héritage était inscrite au centre de la vision créée pour les Jeux. Il reconnaît qu’elle a pu impulser un élan à long terme à l’économie en difficulté de la région et à ses infrastructures sociales.
« L’arrivée des Jeux à Lillehammer a été très positive, souligne l’ancien maire. Nous avons réalisé qu’il ne s’agissait pas seulement d’un événement de 16 jours, mais de quelque chose susceptible de créer un héritage durable pour la ville et la région, d’autant plus que l’économie locale n’était guère brillante à ce moment-là. »
La naissance d’une ″grande puissance″
L'édition de Lillehammer 1994 s'est avérée être un véritable virage pour le développement des sports d'hiver en Norvège. Elle a permis à la petite ville de Lillehammer de se faire connaître au plan mondial et a permis au pays de devenir une véritable "grande puissance" aux Jeux Olympiques d'hiver.
En remportant 26 médailles – le meilleur score des Jeux de Lillehammer – les athlètes norvégiens ont surclassé leurs adversaires. Les Jeux ont donné le coup d’envoi d’une période de domination dans les sports d’hiver qui perdure à ce jour. Vingt-quatre ans plus tard, aux Jeux Olympiques d’hiver de PyeongChang 2018, les athlètes norvégiens en ont remporté 39, un record pour un CNO dans les annales des Jeux Olympiques d’hiver. Il s’agit d’une augmentation considérable par rapport au nombre de médailles, respectivement neuf et cinq, remportées par la Norvège lors des deux éditions des Jeux d’hiver qui ont précédé ceux de 1994.
Un athlète norvégien a incarné le véritable esprit olympique de solidarité. Vainqueur de trois épreuves de patinage de vitesse aux Jeux de 1994, en battant à chaque fois le record du monde, Johann Olav Koss a fait don de la prime qu’il a gagnée avec sa première médaille d’or (environ 30 000 USD) à l’Aide olympique en faveur de Sarajevo ravagée par la guerre et vendu ses patins aux enchères, ce qui lui a permis de récolter 85 000 USD supplémentaires pour les victimes de guerre de Sarajevo. Il créera par la suite, en 2000, une organisation mondiale destinée à aider les enfants défavorisés à l’aide de Jeux éducatifs, baptisée ″Right To Play″ (″Le droit de jouer″).
Les 10 sites sportifs construits spécialement pour les Jeux de 1994 sont toujours utilisés aujourd’hui, ce qui contribue à faire de Lillehammer un acteur majeur du calendrier international, mais aussi à créer une culture dynamique des sports d’hiver au niveau de la base. Témoins de la vision à long terme des organisateurs de 1994, sept de ces sites ont été utilisés pour accueillir des événements près d’un quart de siècle plus tard, lorsque la flamme olympique est revenue à Lillehammer à l’occasion des Jeux Olympiques de la Jeunesse d’hiver de 2016.
Les premiers ″Jeux blancs verts″
La durabilité est aujourd’hui une exigence essentielle pour tous les Jeux Olympiques, mais c’est Lillehammer 1994 qui a été la première à adopter avec succès ce concept, établissant ainsi un modèle pour les futures villes hôtes.
Les Jeux de Lillehammer 1994 sont généralement considérés comme les premiers "Jeux blanc-vert", car ils ont été les premiers à adopter des pratiques environnementales et durables solides, jetant ainsi les bases de l’élaboration des normes environnementales olympiques.
Parmi les principaux critères de durabilité élaborés par les organisateurs, plus de 80 % des transports à destination et au départ de Lillehammer pendant la durée des Jeux ont été effectués en bus ou en train. Dans le même temps, les déchets ont été réduits, grâce à la mise en place d’exigences environnementales rigoureuses que les fournisseurs ont respectées.
La consommation d’énergie a également été un facteur clé de la phase de planification. Le site de hockey sur glace, la patinoire de Gjovik, a été construit sous la montagne pour économiser de l’énergie en maintenant une température constante toute l’année.
Par ailleurs, tous les sites du parc olympique de Lillehammer, ainsi que les sites de ski alpin de Hafjell et Kvitfjell, ont obtenu la certification de la norme norvégienne Eco-Lighthouse, soulignant leur statut de pionniers de la durabilité.
Lillehammer 1994 a adopté une approche avant-gardiste dans l’utilisation de matériaux d’origine locale, biodégradables et recyclés, réduisant massivement l’impact environnemental et l’empreinte carbone des Jeux. Les médailles olympiques ont été fabriquées principalement en granit naturel d’origine locale, tandis que les flambeaux olympiques ont été élaborés avec du verre recyclé mélangé à du béton. De plus, environ 70 % des 20 000 panneaux d’information utilisés aux Jeux ont été fabriqués avec du papier recyclé. Parallèlement, toutes les assiettes et tous les ustensiles de cuisine étaient biodégradables.
Un impact socio-économique durable
Au-delà de la pérennité des infrastructures sportives, qui ont fourni un cadre aussi solide aux Jeux Olympiques de la Jeunesse d’hiver de 2016, l’héritage créé en 1994 se retrouve dans le tissu économique et social de la ville.
L’une des principales réalisations a été la transformation du centre de presse principal en un nouveau campus universitaire. Avant les Jeux, Lillehammer comptait environ 600 étudiants. Aujourd’hui, la population étudiante a décuplé. Comme le note Audun Tron, les bénéfices sont nombreux. « Des jeunes viennent vivre dans la région, ils y dépensent de l’argent et beaucoup d’entre eux restent ici après leurs études, ce qui est extrêmement positif pour l’économie locale. »
Autre témoignage de la vision de Lillehammer, un centre sportif de l’héritage olympique a été ouvert en 2017 avec le soutien du CIO, dans le but de créer un centre international de sports d’hiver susceptible d’accueillir des athlètes de pays dépourvus des conditions et de l’expertise qui font la fierté de la Norvège. Aujourd’hui, le centre soutient le développement des sports d’hiver en Chine dans la perspective des jeux Olympiques d’hiver de Beijing 2022.
La passion reste vivace
Aujourd’hui, aucun visiteur ne peut s’empêcher d’être frappé par la passion des habitants de Lillehammer pour les sports d’hiver et par le fait que les sites créés pour les Jeux d’hiver de 1994 sont si bien utilisés, notamment le centre de ski de fond et de biathlon. Outre le fait de s’être imposé pendant les quatre décennies suivantes comme un site international de pointe pour des événements de haut niveau, ce centre s’enorgueillit d’être disponible pour le grand public toute l’année.
Le souvenir de Lillehammer 1994 et les infrastructures sportives que l’événement a léguées à la ville ont contribué à inspirer une génération dorée d’athlètes norvégiens.
C’est un fait qui n’a pas échappé au quadruple champion olympique de ski alpin Kjetil André Aamodt, qui a participé à Lillehammer en 1994, où il a remporté deux médailles d’argent en descente et en combiné.
« Le premier jour de la descente, Axel Lund Svindal faisait partie des 60 000 personnes venues assister aux Jeux Olympiques, et je crois que les Jeux servent à ça : à inciter les enfants, les jeunes et même ceux qui sont plus âgés à poursuivre leur rêve », souligne Kjetil André Aamodt.
Axel Lund Svindal a remporté quatre médailles olympiques, dont l’or du super-G à Vancouver 2010 et la descente à PyeongChang 2018, devenant ainsi le champion olympique de ski alpin le plus âgé de l’histoire.