Kikkan Randall : "Faire entendre la voix des athlètes"

Grande protagoniste du circuit mondial dans sa spécialité du sprint en ski de fond durant une décennie, meilleure fondeuse américaine de l'histoire, Kikkan Randall a remporté la médaille d'or du sprint par équipes avec Jessica Diggins à PyeongChang en 2018 et le premier titre américain dans son sport en 94 ans de Jeux d'hiver. Elle revient sur cet exploit pour olympic.org, tout comme sur son élection à la commission des athlètes du CIO et son combat contre la maladie.

Kikkan Randall : "Faire entendre la voix des athlètes"
© 2018 Getty Images

Vous avez remporté dans le sprint par équipes le premier titre des États-Unis en ski de fond aux Jeux d'hiver. Quelles ont été vos premières pensées quand Jessica Diggins a franchi la ligne d'arrivée ?

De là où je me tenais sur l'aire d'arrivée, il était impossible de savoir qui avait gagné. J'ai pensé qu'il y aurait photo finish. Puis j'ai regardé l'écran géant et j'ai vu "n°1 USA, écart 19/100e". J'ai sauté au cou de Jessie, et le meilleur moment est arrivé quand j'ai vu toute notre équipe fêter notre victoire, j'ai éprouvé cet extraordinaire sentiment de satisfaction, et la confirmation d'avoir finalement réussi à atteindre l'objectif pour lequel nous avions travaillé depuis si longtemps…

Votre carrière olympique a commencé en 2002 à Salt Lake City…

Oui, les Jeux de PyeongChang étaient mes cinquièmes, et c'était ma 18e course olympique. J'ai donc travaillé pour ça sur une très longue période. Et gagner cette médaille d'or-là, ça a été quelque chose de particulièrement spécial, car je me suis toujours épanouie dans le sprint par équipes… quand on partage cette expérience en commun, quand on compte sur vous. C'était donc encore mieux que si j'avais gagné un titre individuel !

Comment s'est déroulée cette course ?

Une nuit tellement olympique ! Nous étions sous les projecteurs de ce grand stade, la course commençant dans l'arène puis il y avait cette grosse montée, suivie d'une descente rapide avant le retour dans le stade. Nous faisions face à deux équipes, la Suède et la Norvège, qui comptaient dans leurs rangs des fondeuses parmi les meilleures de tous les temps. Mais avec Jessie, nous avons fait course en tête tout du long. Je lui ai passé le dernier relais en bonne position pour la victoire, satisfaite de mon travail, sachant qu'elle donnerait tout sur la fin face à de farouches adversaires : Stina Nilsson venait de gagner l'or en sprint individuel, Maiken Falla était la championne du monde en titre et la championne olympique des Jeux de Sotchi 2014. Mais dans un relais, Jessica est capable de pousser sur ses bâtons plus fort que toutes les fondeuses que je connais. Et puis nous avions un excellent matériel, et c'est une part importante de cette victoire. Le travail sur le fartage de nos techniciens a été fantastique, nous revenions à l'avant à chaque descente. C'est tellement cool de voir toutes les pièces du puzzle s'assembler d'un coup sur la ligne d'arrivée !

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Comment avez-vous trouvé l'organisation et l'ambiance générale ?

Je savais que les Jeux de PyeongChang seraient mes derniers. Je voulais vraiment en profiter et ne pas me concentrer uniquement sur ma compétition. Je suis allée chez le coiffeur du village et j'ai teint mes cheveux en blond et en rose, je n'avais jamais fait ça. J'ai adoré l'atmosphère au village, surtout parce qu'ici, les fondeurs étaient regroupés dans le "Grand" village et c'était super de fréquenter les athlètes des autres sports et des autres pays. Il y avait ce grand réfectoire, toutes les activités proposées. C'était par ailleurs très facile pour nous d'aller du village au site de ski de fond, aménagé sur un parcours de golf ! Le parcours était super, de niveau olympique. Les conditions d'enneigement étaient un peu difficiles, mais toutes les compétitions se sont bien passées. Le seul côté négatif était que je n'avais pas mon fils à mes côtés, il était resté au Canada avec son papa. Du coup, j'en ai profité pour passer du temps avec mes coéquipiers et nous nous sommes beaucoup amusés. J'ai vraiment essayé de vivre pleinement chaque instant.

Vous avez grandi dans une famille d'olympiens spécialistes du ski de fond : votre oncle Chris Haines a concouru à Innsbruck en 1976, votre tante Betsy Haines à Lake Placid en 1980. À quel point vous ont-ils inspirée ?

Oui, ça a été très important pour moi de passer mon enfance auprès d'eux. Nous parlions tout le temps des Jeux Olympiques. Cela me semblait quelque chose de naturel, quelque chose qui pouvait vraiment arriver puisque des gens de ma famille l'avaient fait. Toute la famille - mes parents, mes grands-parents - se réunissait pour regarder les Jeux. Je me souviens qu'à cinq ans, j'avais décidé que j'y participerais, peu importe le sport que je choisirais. L'univers olympique a toujours occupé une place centrale dans ma vie. Les Jeux m’ont toujours fascinée.

Quel a été votre parcours sportif ?

J'ai essayé plein de choses différentes. J'ai fait du ski alpin, rêvant de concourir aux Jeux dans ce sport. J'ai même battu un record en ski de vitesse à 12 ans, à 119 km/h. Puis j'ai couru en athlétisme pendant un moment. Alors que j'étais au lycée, mon entraîneur est parti. Il me fallait rejoindre un nouveau groupe d'entraînement. Or, celui de ski de fond venait d'être mis en place. Je l'ai rejoint, les coaches ont décelé mon potentiel. J'ai alors compris que c'était la combinaison de tous ces autres sports : l'excitation de la descente, l'esprit d'équipe du football, repousser ses limites comme dans la course à pied. Et puis j'étais intriguée par le fait qu'aucune fondeuse américaine n'avait jamais gagné de médaille aux Jeux. Je pensais que c'était possible, même si ça n'avait jamais été réalisé. Je savais aussi que cela prendrait du temps, mais cela en valait la peine.

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Que vous rappelez-vous de vos premiers Jeux à Salt Lake City ?

C'était tellement incroyable ! J'avais 19 ans, je suis née à Salt Lake City. Et bien sûr notre équipe évoluait à domicile. Je me rappelle avoir enfilé pour la première fois la tenue de la délégation olympique américaine. Je me souviens de la cérémonie d'ouverture. J'ai défilé à l'avant de délégation devant 80 000 spectateurs. Un rêve devenu réalité. J'ai couru devant ma famille et mes amis et en compagnie de mes héros sportifs ! Mais je savais que j'étais là pour emmagasiner de l'expérience et que cela n'était que le début.

Que s'est-il passé ensuite ?

Dans le sprint, ma spécialité, je me suis classée 9e à Turin en 2006, 8e en style classique à Vancouver en 2010, et j'ai été éliminée pour 5/100e de seconde dans ma série des quarts de finale à Sotchi en 2014. Dans l'intervalle, j'ai gagné trois fois le classement du sprint en Coupe du monde, en 2012, 2013 et 2014, j'ai multiplié les victoires et les podiums, et surtout, nous sommes devenues championnes du monde du sprint par équipes avec Jessica Diggins en 2013. Le sommet de ma carrière alors.

Nous voilà en 2018…

Avec Jessica, nous n'avions plus couru ensemble depuis notre titre mondial en 2013. Quand nous avons abordé notre course à PyeongChang, nous nous sommes demandé ce qui avait fonctionné pour nous ce jour de 2013. Alors nous avons regardé notre épisode préféré de la même série, Glee, nous avons mis nos chaussettes de course, nous nous sommes peint le visage exactement de la même manière, nous avons écouté la même chanson, "Don't Stop Beleivin'" de Journey… Et la magie a de nouveau opéré !

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À PyeongChang, vous avez été élue à la commission des athlètes du CIO…

Juste après notre victoire, nous sommes entrées dans un territoire totalement nouveau.

Un véritable tourbillon médiatique. Et puis, le jour suivant était celui de l'annonce du résultat des élections à la commission des athlètes. C'était reparti pour un nouveau tourbillon, rencontre avec les athlètes de la commission, réunion avec le président Thomas Bach, prestation de serment en tant que membre du CIO, répétition pour la cérémonie de clôture. C'était fou ! Et puis entrer dans le stade olympique pour la cérémonie de clôture avec ma médaille d'or autour du cou… Que d'émotions !

Quels sont vos objectifs au sein de la commission des athlètes ?

C'est une grande responsabilité, et c'est passionnant de pouvoir s'impliquer dans le Mouvement olympique et d'être en mesure de faire une différence. J'ai décidé de me porter candidate car j'ai aimé les Jeux dès mon enfance, j'ai un fils maintenant et je veux que les Jeux aient une influence positive sur sa vie et sur toutes les générations à venir. Les Jeux font face à plusieurs défis aujourd'hui. Je veux apporter mon expérience de quintuple olympienne et de présidente de la commission des athlètes de la FIS sur la manière de dialoguer avec les athlètes et de communiquer avec eux afin de faire entendre leur voix. S'assurer qu'ils pèsent sur les décisions prises. Mais aussi, leur donner plus d'informations. Mon but principal est donc d'établir cette communication afin que nous travaillions tous ensemble, la renforcer aussi. Et je suis également très attachée à la lutte contre le dopage. Il faut l'intensifier. Et maintenant que je suis une athlète en pleine reconversion professionnelle, je m'intéresse énormément au développement des compétences des athlètes alors qu'ils sont encore en compétition, afin qu'ils soient prêts pour leur vie après le sport. Je voudrais aussi qu'ils restent au service du sport une fois leur carrière terminée, en tant qu'entraîneurs, cadres, dirigeants sportifs. Je fais également partie de la commission des femmes dans le sport du CIO : faire en sorte que les filles continuent de pratiquer un sport, veiller à ce que plus de femmes fassent du sport, cela a toujours été ma passion.

Vous vous battez contre la maladie actuellement. Quel message adressez-vous à tous ceux qui pourraient se retrouver dans la même situation ?

Suivre un traitement contre le cancer du sein, c'est quelque chose que je n'aurais jamais pu imaginer. Quelque chose que je ne souhaite à personne. Mais cela m'a beaucoup appris sur moi-même. Cela ressemble énormément au fait de viser de gros objectifs en sport. Les aptitudes que j'ai développées sur la route vers ma médaille d'or m'ont servi pour surmonter mon traitement. Le plus important, c'est l'activité physique. C'est parce que j'étais sportive et en bonne santé que j'ai pu conserver toute mon énergie. J'ai aussi voulu rester active durant toute cette période. Même les jours où je ne me sentais pas bien, je sortais pour bouger. C'est important de montrer aux gens à quel point l'activité physique permet de rester en forme. Il y a aussi l'aspect mental. Je sais qu'il y a des choses que je ne peux pas contrôler, il ne faut pas perdre de temps là-dessus. Je me concentre sur ce je peux contrôler. Je peux choisir de rester positive, optimiste, de regarder devant moi, d'être dans le moment et de profiter de tout ce qui m'entoure. Toute ma carrière sportive m'a aidée dans cette épreuve. J'ai aussi reçu un soutien phénoménal. Ça a été quelques mois difficiles, mais je me sens mieux, je suis maintenant impatiente de revenir à une vie normale pour faire toutes les choses que j'ai dû mettre en suspens pendant un moment.